
Immeubles fragiles, évacuations en chaîne : Toulouse face à la crise de son bâti ancien
Depuis mars 2024, Toulouse est confrontée à une succession d’alertes et d’effondrements d’immeubles en centre-ville, révélant une fragilité structurelle préoccupante du bâti ancien. L’effondrement du 4 rue Saint-Rome, survenu dans la nuit du 8 au 9 mars, a marqué le point de départ d’une prise de conscience municipale et citoyenne. Depuis cet événement, les signalements se sont multipliés : plus de 60 immeubles ont été évacués en un an, et la tendance s’est accentuée depuis le début de l’année 2025, avec déjà 20 évacuations recensées.
Multiplication des alertes & évacuations en série
Dans la nuit du 8 au 9 mars 2024, un immeuble situé au 4 rue Saint-Rome, en plein cœur du centre historique de Toulouse, s'est effondré. Construit au XIXe siècle, le bâtiment avait été évacué quelques jours auparavant en raison de l'apparition de fissures inquiétantes. Bien qu’aucune victime n’ait été à déplorer, grâce à cette évacuation préventive, l'effondrement a toutefois laissé un trou béant dans la rue, perturbant la vie du quartier et suscitant une vive émotion parmi les habitants.
Suite à l'effondrement, les autorités ont procédé à l'évacuation des immeubles adjacents, situés au 1 et 3 rue des Puits-Clos, par mesure de précaution. Des expertises ont été lancées pour évaluer la stabilité des structures environnantes. Un an après les faits, le site reste en attente de reconstruction, les démarches administratives et les expertises techniques retardant le lancement des travaux.
Depuis l'effondrement de la rue Saint-Rome, plusieurs incidents similaires ont été signalés dans le centre-ville de Toulouse.
?️ Chronologie des incidents (décembre 2024 – avril 2025)
13 décembre 2024 – Évacuation rue Denfert-Rochereau
Un immeuble est évacué à la suite de la découverte d’un mur abattu dans un appartement, affaiblissant la structure du bâtiment. Un arrêté est rapidement pris pour prévenir tout risque.
22 décembre 2024 – Fermeture d’un immeuble rue des Lois
Des bruits anormaux et des vibrations alertent les occupants d’un immeuble au 39 rue des Lois. L’escalier central est jugé instable et l’immeuble, abritant une douzaine de logements étudiants, est évacué sur décision municipale.
13 avril 2025 – Évacuation rue Léonce Castelbou
Un pan de mur s’effondre entre les numéros 3 et 9 de la rue Léonce Castelbou. Cinq immeubles sont évacués en urgence. L’origine du sinistre est liée à des infiltrations d’eau ayant fragilisé les structures.

Toulouse, colosse poreux aux pieds d’argile ?
Depuis le premier effondrement il y a un an, les signalements émanant des habitants du centre ont été multipliés par trois en un an. Ce phénomène s'accompagne d'une série d'interventions : depuis le début de l’année, 20 immeubles ont déjà été évacués, contre 41 au total pour l’année précédente.
Interrogé sur les causes de ces dégradations par TF1, Martin Emmanuel Le Sueur, expert en pathologie du bâtiment, évoque l’apparition de fissures révélatrices de mouvements structurels. Ces déformations, selon lui, sont des indicateurs précoces de l’instabilité d’un édifice. Il précise que dans près de 60 % des cas, les infiltrations d’eau constituent la principale cause des effondrements, en fragilisant les façades et les murs porteurs.
D’autres éléments, comme la composition des sols, peuvent également jouer un rôle aggravant. "Les terrains argileux, qui réagissent fortement aux variations d’humidité, sont particulièrement concernés", souligne l’expert, rappelant que près de la moitié du territoire français repose sur ce type de sol.
Une expertise récente a identifié environ 150 copropriétés dans Toulouse comme présentant un état de fragilité préoccupant, nécessitant un suivi renforcé et, pour certaines, des mesures conservatoires urgentes.
Mais que fait la Mairie ?
La municipalité a lancé des actions de communication ciblées, notamment l’envoi de courriers aux syndics de copropriété et aux propriétaires d’immeubles anciens. Ces courriers rappellent les obligations d’entretien régulier des bâtiments, les signes avant-coureurs à surveiller (fissures, affaissements, humidité persistante, déformation des huisseries, etc.) et les procédures à suivre en cas de besoin.
En complément de ces démarches, des campagnes de sensibilisation sont également prévues pour toucher un public plus large, y compris les locataires qui sont souvent les premiers à constater les problèmes dans les bâtiments. Ces campagnes s’appuient sur différents supports tels que des affiches dans les halls d’immeubles, des brochures distribuées dans les mairies, ainsi que des informations en ligne pour maximiser leur portée.
Le renforcement du dispositif "Allô Toulouse"
Afin de faciliter le signalement des anomalies, la municipalité a également renforcé le dispositif "Allô Toulouse". Un service accessible 24h/24 par téléphone au 05 61 22 22 22 et via une application mobile qui permet aux habitants de signaler toute situation préoccupante, qu’il s’agisse de fissures, d’infiltrations d’eau ou de dégradations visibles des structures.
Vers un encadrement renforcé du logement ancien : permis de louer, diagnostics et préservation du bâti

Les résidents du centre-ville expriment une inquiétude croissante face à ces incidents répétés. Certains demandent la mise en place de dispositifs tels que le "permis de louer" pour renforcer les contrôles sur l'état des logements. D'autres s'interrogent sur l'impact des projets d'infrastructure, comme la construction d'une nouvelle ligne de métro, sur la stabilité des bâtiments anciens.
Dans le cadre de l’entrée en vigueur du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), les travaux réalisés sur les habitations du centre historique de Toulouse sont désormais soumis à une autorisation préalable, délivrée conjointement par la mairie et l’architecte des Bâtiments de France. La municipalité voit dans cette mesure, un levier pour généraliser de meilleures pratiques de rénovation, en cohérence avec les objectifs de durabilité.
Dans cette logique de régulation accrue du parc immobilier ancien, la Ville de Toulouse expérimentera, à partir de novembre 2025, un dispositif de permis de louer dans le quartier Arnaud-Bernard. Lequel contraindra les propriétaires souhaitant mettre un bien en location à présenter un diagnostic technique préalable. Si le logement présente des caractéristiques d’insalubrité ou de danger pour les occupants, l’autorisation de mise en location pourra être refusée.
Une étude conduite par la société publique locale Europolia a par ailleurs permis d’identifier près de 880 bâtiments énergivores sur le territoire toulousain, ainsi que 150 copropriétés jugées structurellement fragiles. Trois secteurs sont particulièrement touchés par la dégradation du parc immobilier : Arnaud-Bernard/Saint-Sernin, Bayard/Belfort, et Esquirol/Carmes.
La mairie appelle à une application rapide des décrets issus de la loi Habitat indigne, adoptée en avril 2024. Ce texte ouvre aux collectivités locales la possibilité d’imposer des diagnostics structurels obligatoires, à la charge des propriétaires, pour évaluer l’état des immeubles. Il prévoit également des procédures d’expropriation à l’encontre des bâtiments présentant un niveau de dangerosité élevé.