Saint-Malo victorieuse face aux locations Airbnb

Saint-Malo impose des limites à Airbnb : une victoire pour les résidents face au tourisme locatif

Rennes - Location - Hervé Koffel le 29/10/2024

Depuis plusieurs années, Saint-Malo est en première ligne dans la lutte contre les excès liés aux locations de courte durée, comme celles proposées par la plateforme Airbnb. Ce phénomène, en plein essor sur tout le territoire, a eu des répercussions importantes sur l’équilibre immobilier de la cité corsaire.

Sous l’effet de la demande touristique, de nombreux logements, auparavant disponibles pour des habitants permanents, ont été convertis en locations temporaires, rendant l’accès au logement toujours plus difficile pour les Malouins et provoquant une flambée des prix de l'immobilier.

En réponse, la municipalité de Saint-Malo a pris des mesures audacieuses dès juin 2021, imposant des quotas stricts pour limiter le nombre de locations de courtes durée dans les quartiers historiques de la ville. Ces quotas, ajustés en fonction des zones urbaines, visaient notamment à plafonner à 12,5 % les logements destinés à des locations touristiques intra-muros.

S’ensuivit un long bras de fer entre la ville, désireuse de préserver son cadre de vie pour les résidents, et les propriétaires de biens locatifs, qui dénoncent des restrictions sévères à leurs droits. Ce débat a récemment trouvé une réponse devant le tribunal administratif de Rennes, qui a validé le dispositif mis en place par la mairie le 17 octobre dernier, donnant à Saint-Malo un exemple de gestion pionnière face aux défis de la location touristique.

Avec cette décision, Saint-Malo ouvre une voie pour d’autres villes françaises, elles aussi aux prises avec la pression touristique et les déséquilibres qu’elle engendre. On pense notamment à Rennes, qui passait cet été une mesure d'encadrement des meublés touristiques.

Saint-Malo : Le bras vengeur face aux locations Airbnb

De nombreuses villes françaises font les frais de la croissance fulgurante des locations dites Airbnb. À Saint-Malo, on enregistrait une augmentation de 24% rien qu’entre 2018 et 2019 des mises en locations sur ce format.

Pour freiner l’essor de ces locations touristiques de courte durée et protéger l’accès au logement pour les habitants, la municipalité de Saint-Malo a instauré en 2021 un cadre règlementaire strict.

Ce dispositif repose principalement sur l’application de quotas visant à limiter la proportion de logements disponibles pour les plateformes comme Airbnb, particulièrement dans les zones les plus touchées par l’afflux touristique.

Concrètement, Saint-Malo a réparti son territoire en plusieurs secteurs et fixé des seuils spécifiques de logements éligibles par quartier. La vieille ville intra-muros, prisée des touristes, est soumise au quota le plus restrictif : seulement 12,5 % des logements peuvent être mis en location de courte durée.

En complément de ces quotas, la ville a mis en place des procédures de contrôle renforcées. Un poste d'agent municipal assermenté a été créé pour vérifier que les propriétaires respectent les règles et que chaque location est bien déclarée en mairie. En cas d’infraction, les sanctions financières peuvent atteindre jusqu'à 50 000 euros, une somme dissuasive pour les contrevenants.

saint-malo victoire contre airbnb – Une jeune femme assise par terre lève les bras en guise de victoire
© Evgeny Atamanenko – Shutterstock

Grâce à ces mesures, la municipalité souhaite clairement reprendre la main sur son parc immobilier, en dissuadant la transformation de logements permanents en biens exclusivement dédiés aux locations temporaires.

Un cadre réglementaire qui fait de Saint-Malo l’une des premières villes françaises à s’attaquer aussi frontalement aux conséquences du tourisme locatif. La démarche a également permis de sensibiliser d’autres villes, confrontées aux mêmes enjeux, aux potentiels leviers législatifs à leur disposition pour réguler le marché.

“Par ce règlement, nous avons stoppé l’hémorragie et je me réjouis de ce jugement qui confirme que notre solution était valide et qui va permettre à la ville de continuer sa politique de trouver des solutions de logements pour des actifs.

La réglementation malouine fait figure de pionnière et constitue le cadre le plus strict au plan national à l’heure actuelle en matière de délivrance d’autorisations de locations saisonnières. L’exemple malouin a d’ailleurs inspiré en grande partie le projet de loi toujours en cours d’examen au parlement.”

Gilles Lurton, Maire de Saint-Malo
 

Contestations légales : les propriétaires en colère

-Face aux restrictions imposées par la mairie de Saint-Malo, de nombreux propriétaires se sont rapidement mobilisés pour contester ce qu’ils considèrent comme une entrave à leurs droits. En effet, les nouvelles règles, perçues par certains comme une régulation trop rigide du marché locatif, limitent drastiquement la rentabilité de leurs investissements immobiliers.

Pour des propriétaires de biens meublés dédiés à la location de courte durée, la mesure de la municipalité implique souvent une perte substantielle de revenus, particulièrement dans les quartiers à forte attractivité touristique comme l’intra-muros. Plusieurs propriétaires, organisés en Sociétés civiles immobilières (SCI) ou en Sociétés par actions simplifiées (SAS), ont donc saisi la justice en dénonçant un "excès de pouvoir" de la part de la mairie.

Le recours en annulation de ces quotas a été déposé au tribunal administratif de Rennes, appuyé par un avocat spécialisé en droit immobilier. Les plaignants ont fait valoir que ces quotas limitaient de manière disproportionnée l’usage de leurs biens et entravaient leur liberté de gérer leur patrimoine.

Dans leur argumentation, les propriétaires estiment également que ces règles risquent de décourager l'investissement dans l’immobilier local, ce qui pourrait à terme nuire à l’économie touristique de la ville.

Cependant, le 17 octobre 2024, le tribunal administratif de Rennes a tranché en faveur de la municipalité, validant les mesures de restriction instaurées par Saint-Malo. Cette décision constitue un précédent important pour d’autres communes françaises, confrontées à des situations similaires et tentées de suivre l’exemple de la cité corsaire.

Elle vient ainsi conforter le pouvoir des autorités locales face aux dérives du tourisme locatif et redonne une légitimité aux initiatives des municipalités qui souhaitent protéger l’accès au logement pour leurs résidents permanents.

saint-malo victoire contre airbnb – Un marteau de juge posé à côté d'un jeu de clé
© GAS-photo - shutterstock

”Le droit européen et la loi permettent à la ville de Saint-Malo de mettre en place un régime d’autorisation de changement d’usage, limité à une autorisation par personne physique propriétaire d’un local et comportant des quotas.

[...]La commune peut, sans discrimination, limiter à un bien par personne physique propriétaire l’autorisation de louer un logement pour une courte durée au regard notamment des objectifs poursuivis, qui visent à limiter les fortes tensions qui s’exercent dans la commune sur le marché de la location de locaux à usage d’habitation".

Tribunal administratif de Rennes

Les locaux peuvent se réjouir

Pour de nombreux Malouins, cette mesure permettra enfin de relâcher la pression sur le marché locatif, facilitant l'accès aux logements pour les résidents permanents, en particulier les jeunes et les familles qui peinaient à trouver des logements abordables en raison de la forte demande touristique.

En effet, à la suite de l’essor des locations touristiques, on a constaté une explosion des prix des logements à Saint-Malo de +41% en 5 ans . La validation juridique de cette règlementation devrait enfin agir positivement pour un rééquilibrage du marché.

Les réactions des habitants ont été largement positives, notamment de la part des membres du collectif « Saint-Malo, j’y vis… j’y reste », qui milite depuis plusieurs années pour une régulation des locations de courte durée, et du CNHP (Collectif national des habitants permanents). Ces résidents voient dans les quotas une solution nécessaire pour préserver leur qualité de vie, en réduisant les nuisances telles que le bruit, l'insécurité et l’augmentation des coûts de la vie, souvent associés aux flux touristiques massifs.

Pour beaucoup, ces restrictions permettent également de freiner la désertification de certains quartiers, particulièrement dans le centre historique, où la population permanente avait fortement diminué au profit des logements saisonniers.

saint-malo victoire contre airbnb – Saint-malo intra muros vue drone
©Ludovic Chambaud - Shutterstock

Un précédent sans précédent pour d’autres villes françaises ?

La victoire de Saint-Malo dans la joute pour la régulation des locations de courte durée pourrait bien être l'élément déclencheur dans la gestion du phénomène Airbnb au niveau national. Plusieurs autres villes françaises, confrontées à des problématiques similaires, suivent de près le modèle malouin et pourraient s’en inspirer pour encadrer elles aussi les effets du tourisme locatif intensif sur leur marché immobilier.

Des municipalités telles que Montpellier, Rennes, Toulouse ou Bordeaux, où la pression locative est forte, se retrouvent face aux mêmes défis : maintenir des logements accessibles pour leurs habitants tout en gérant un tourisme en plein essor.

Avec la validation des quotas par le tribunal administratif de Rennes, Saint-Malo établit un précédent qui pourrait renforcer la légitimité des pouvoirs locaux à instaurer des régulations adaptées à leurs besoins spécifiques. Ce jugement ouvre ainsi la voie à une jurisprudence favorable aux villes qui souhaitent exercer un contrôle plus strict sur les plateformes de location.

Certains responsables politiques et associations de défense du logement plaident pour une harmonisation des régulations à l’échelle nationale, afin de fournir aux municipalités les moyens juridiques de protéger leurs habitants des effets négatifs de la sur-densification touristique.

Le cas de Saint-Malo pourrait donc inciter d’autres villes françaises à imposer elles aussi des restrictions sur les locations de courte durée, en s’appuyant sur ce précédent juridique pour établir leurs propres quotas ou pour encadrer l’activité des plateformes de manière plus rigoureuse. En parallèle, ce succès alimente le débat sur l’opportunité d’une politique nationale permettant de garantir un équilibre durable entre le développement touristique et le droit au logement pour les résidents.

Lire "Saint-Malo impose des limites à Airbnb : une victoire pour les résidents face au tourisme locatif" sur RennesIMMO9