
Piscine Saint-Georges à Rennes : Un projet colossal de rénovation dévoilé
Le 19 mai 2025, la Ville de Rennes a présenté un programme de restauration titanesque pour la piscine Saint-Georges, bâtiment centenaire cher au patrimoine local. Fermé au public de janvier 2028 à juillet 2030, l’établissement bénéficiera d’une remise à niveau structurelle, énergétique et fonctionnelle. Située dans le quartier Thabor – Saint-Hélier, secteur ultra-prisé de Rennes et théâtre de nombreuses constructions de logements neufs, la piscine Saint-Georges n'a pas dit son dernier mot et compte bien revenir sur le devant de la scène.
Le projet entendra réduire la consommation d’énergie et d'eau du bâtiment, et révélera de nouveau la grande voûte et l’esthétique d’origine. Cette intervention articule sauvegarde patrimoniale et service public dans un calendrier serré, sous contrôle des Monuments historiques.
La piscine Saint-Georges : Un siècle d’histoire et de patrimoine
Une piscine née des ambitions hygiénistes de l’entre-deux-guerres
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le maire Jean Janvier défend à Rennes un programme d’équipements « pour l’hygiène et la santé publiques ». La piscine Saint-Georges s'intègre au cœur de cette stratégie : décidée en 1921, elle est construite de 1923 à 1926 sur une parcelle attenante au palais abbatial Saint-Georges.
Trois objectifs se dégagent du projet : offrir des bains publics accessibles, promouvoir la natation comme pratique populaire et doter la ville d’un édifice moderne capable de rivaliser avec ceux de Paris ou de Nancy, modèles souvent cités dans les rapports municipaux de l’époque.
Cette intention sociale se lit dans la conception du programme :
- un grand bassin de 33 mètres,
- des cabines individuelles,
- un service de douches,
- des circulations séparant flux secs et humides, conformément aux normes hygiénistes promues par les médecins-conseils municipaux.
Le geste architectural d’Emmanuel Le Ray
Architecte de la Ville, Emmanuel Le Ray s’inspire des piscines parisiennes de la Butte-aux-Cailles et du complexe thermal de Nancy. Il conçoit une halle couverte par une voûte en béton armé qui laisse entrer la lumière zénithale sur la lame d’eau, tandis qu’une galerie périphérique abrite 66 cabines et une tribune en mezzanine.
La façade rue Gambetta adopte un vocabulaire Art déco : appareillage de briques vernissées crème, frises en grès émaillé dessinées par l’artiste Alain Bourget et réalisées par les céramistes Gentil & Bourdet, et fronton orné d’un cartouche rappelant l’année d’achèvement, 1926.
Derrière l’élégance décorative, la structure rationalise les circulations : le béton armé permet de grandes portées, libère le volume intérieur et facilite la ventilation naturelle grâce à des châssis hauts ouvrants. Le Ray associe ainsi modernité constructive et lisibilité fonctionnelle, deux idées fortes des architectes municipaux de l’entre-deux-guerres.
Les mosaïques Odorico, emblème de l’Art déco rennais
À l’intérieur, Isidore Odorico (fils) recouvre les parois de 350 m² de mosaïques en émaux de Briare. Le décor alterne ondulations vertes, jaunes et brunes évoquant le mouvement de l’eau, encadrées de méandres géométriques typiques du vocabulaire Art déco. Chaque tesselle est dimensionnée pour résister à l’humidité et aux agressions chimiques ; certaines zones comportent encore les signatures à la feuille d’or de l’atelier Odorico.
Les mosaïques, en plus d'être un ornement de qualité, protègent le béton, facilitent le nettoyage quotidien et participent à l’identité visuelle de l’équipement public, au point de devenir l’un des motifs touristiques les plus photographiés de l'histoire de Rennes. Leur restauration, en 1996 puis 2009, a nécessité des reproductions au gabarit sur mesure pour respecter la palette originelle tout en garantissant la durabilité des fragments remplacés (Source : Office du Tourisme de Rennes).

De l’équipement municipal au monument historique
Utilisée pendant près d’un siècle, la « Saint-Georges » demeure une référence locale : 200 000 entrées annuelles en moyenne et un rôle éducatif marqué dans l’apprentissage de la natation scolaire depuis 1930. Elle sert aussi de cadre à des manifestations culturelles, du festival « Les Tombées de la Nuit » aux installations immersives telles que Museum of the Moon en 2017.
Ces usages, alliés à la préservation quasi intacte du décor originel, ont conduit la Direction régionale des affaires culturelles à proposer son classement. Le 10 novembre 2016, l’arrêté ministériel inscrit la piscine et ses bains-douches à l’inventaire des monuments historiques, reconnaissant ainsi la valeur patrimoniale d’un édifice où se croisent histoire sociale, art décoratif et innovation technique.
Ce statut implique désormais un contrôle scientifique et technique de l’État pour chaque intervention, condition sine qua non du programme de restauration adopté en mai 2025.
Quand la « vieille dame » montre ses faiblesses
Fissures, infiltrations et fatigue du béton
Le diagnostic patrimonial et technique livré en avril 2021 par l’équipe de l’architecte en chef des Monuments historiques Pierre-Antoine Gatier dresse un premier constat sans détour : après près d’un siècle d’usage continu, la structure en béton armé présente de multiples pathologies – micro-fissures sur les parois du bassin de 33 m, épaufrures sous la voûte et corrosion localisée des armatures exposées à l’humidité chaude du hall.
En octobre 2022 puis en février 2024, de petits blocs de béton se sont même détachés au-dessus des coursives ; un filet de protection a dû être installé en urgence sous la voûte tandis qu’une fermeture d’une semaine a permis de purger les éléments instables.
Le bassin lui-même se ride : les fissures longitudinales imposent une vidange extrêmement lente – un mois complet au lieu d’une semaine dans un équipement plus récent – faute de quoi le retrait brutal du béton provoquerait des ruptures supplémentaires. Ces désordres, visibles au quotidien par les agents d’exploitation, constituent le cœur du futur chantier : conforter la cuve, traiter la carbonatation du béton et reconstituer les arrêtes fragilisées à l’identique.
Installations techniques à bout de souffle et surconsommation énergétique
Aux fragilités structurelles s’ajoute l’obsolescence généralisée des réseaux :
- Le chauffage à air pulsé de 1988 affiche un rendement inférieur à 65 %,
- la ventilation par simple extraction ne suffit plus à limiter la condensation,
- les échangeurs du circuit de traitement d’eau – dimensionnés pour 600 baigneurs jour en 1926 – saturent régulièrement lorsque l’affluence scolaire dépasse 1 000 entrées hebdomadaires.
La Ville estime que la piscine consomme aujourd’hui environ 1,4 GWh par an, soit 30 % de plus que la moyenne des trois autres bassins municipaux (Chiffres Rennes Métropole), principalement en raison des déperditions thermiques de la verrière et des façades non isolées.
Le programme de restauration table sur une baisse de la consommation d’énergie primaire et de la consommation d’eau grâce au remplacement complet du système CVC, à la reprise des canalisations enterrées et à l’installation d’une récupération de chaleur sur les eaux de vidange. Cette remise à niveau technique doit également intégrer un volet « économie circulaire » : 5 % des matériaux déposés seront réemployés sur place ou dans d’autres chantiers municipaux.

Des normes d’accessibilité et sécurité incendie obsolètes
Le confort d’accueil, jugé novateur en 1926, apparaît aujourd’hui en décalage : absence d’ascenseur pour rejoindre la galerie haute, cabines étroites et seuils à 15 cm qui rendent difficile la circulation des personnes à mobilité réduite. Les équipes d’exploitation déplorent également l’exiguïté des locaux techniques, incompatibles avec les volumes de stockage imposés par la réglementation biocide de 2024.
Côté sécurité incendie, l’unique issue de secours sur la rue Victor-Hugo, bien qu’aux normes lors du classement Monument historique de 2016, ne répond plus aux prescriptions de l’arrêté « établissements recevant du public – piscines couvertes » révisé en 2023. Le futur chantier prévoit donc un nouveau noyau vertical intégrant ascenseur, escalier pressurisé et gaines techniques, posé en retrait pour préserver la halle Art déco – l’un des points de vigilance de l’architecte des Bâtiments de France.
Un site sous surveillance rapprochée en attendant 2028
En attendant la fermeture programmée de janvier 2028 à juillet 2030, l’équipement reste sous haute surveillance. « La Ville a réalisé près de 550 000 € de travaux de maintenance au cours de la dernière décennie », rappelle Frédéric Bourcier, adjoint aux sports, tout en concédant que ces rustines ne sauraient éternellement contenir la dégradation.
Le même élu souligne que, faute de rénovation, la Direction départementale des territoires pourrait imposer une fermeture administrative si la vétusté venait à compromettre la sécurité du public. La municipalité a donc inscrit des inspections trimestrielles par drone de la voûte, un suivi trimestriel de la qualité de l’air intérieur et des prélèvements semestriels d’échantillons de béton pour mesurer la profondeur de carbonatation.
Ces mesures de précaution ont été décidées afin de maintenir l’exploitation jusqu’à la coupure totale de 2028, date à laquelle les entreprises retenues disposeront de 18 mois pour redonner toute sa solidité, sa sobriété et sa lisibilité patrimoniale à ce témoin pilier du mouvement hygiéniste rennais.
Le programme de restauration de la piscine Saint-Georges 2028-2030
18 mois de travaux pour se refaire une beauté
Le chantier s’organise selon un séquençage qui ménage la conception, la consultation des entreprises et l’exécution proprement dite. La maîtrise d’œuvre sera désignée entre juin et décembre 2025. S’ouvriront ensuite dix-huit mois d’études (janvier 2026-juin 2027) indispensables pour lever les diagnostics complémentaires, caler les méthodes de dépose des mosaïques Odorico et arrêter les scénarios énergétiques.
Les procédures de marchés publics suivront de juillet 2027 à décembre 2027, de sorte que le site puisse fermer ses portes au public début janvier 2028. Dix-huit mois de travaux — jusqu’en juin 2029 — seront consacrés aux opérations lourdes : confortement du béton armé, reconstruction de la cuve et remplacement intégral des réseaux.
Les six derniers mois (janvier-juillet 2030) permettront la remise en eau, les réglages techniques et les essais réglementaires. Au terme de ceux-ci, la piscine aura retrouvé sa jeunesse d'antan. La réouverture au public est fixée à juillet 2030, à l’issue d’une remise à niveau documentaire et d’une visite de conformité de la Commission de sécurité.

Près de 28 M€ de budget
Le coût global de l’opération atteint 27 970 000 €, somme votée par le conseil municipal le 19 mai 2025.
Dans ce montant, 20 745 000 € couvrent le corps des travaux — gros œuvre, second œuvre, équipements et paysagement.
Les honoraires d’études et de contrôle représentent 3 678 000 €, incluant les missions diagnostics, patrimoine, économie de la construction et coordination sécurité-santé.
Une provision de 3 547 000 € est enfin réservée pour aléas techniques, révisions de prix et imprévus de chantier. Cette enveloppe intègre la clause de réemploi (5 % en masse des matériaux déposés) et la fourniture de matériaux biosourcés ou géosourcés lorsque les prescriptions patrimoniales le permettent.
Trois volets d’intervention complémentaires
Volet architectural : Le programme vise à restituer la volumétrie de 1926 : la grande voûte sera dégagée du faux plafond posé dans les années 1970, les menuiseries d’origine seront restaurées lorsque leur état le permet, et le jardin nord-ouest retrouvera sa fontaine et son ginkgo biloba, point d’appui paysager de la composition.
Volet technique : Les installations de chauffage-ventilation-climatisation seront remplacées par des groupes double flux à récupération d’énergie, les canalisations du traitement d’eau passeront en acier inox pour améliorer la longévité, et un réseau de transfert de chaleur récupérera les calories des eaux de vidange. Les façades et toitures recevront une isolation par l’intérieur couplée à un double vitrage feuilleté à contrôle solaire.
Volet fonctionnel : Les vestiaires seront recomposés autour d’une banque d’accueil repositionnée, un escalier pressurisé et un ascenseur PMR traverseront les deux niveaux tandis qu’un complexe acoustique viendra tapisser la sous-face de la voûte pour limiter la réverbération dans la halle bassin.
Qui dit monument historique, dit attention particulière
Classée monument historique depuis 2016, la piscine fera l’objet d’un suivi continu de la Conservation régionale des monuments historiques : chaque phase donnant lieu à un visa préalable et à un rapport photographique. La dépose des mosaïques sera réalisée pièce à pièce, numérotées, stockées dans un espace à hygrométrie contrôlée puis reposées après la réfection de l’étanchéité.
Les parements en briques vernissées des façades Rue Gambetta seront nettoyés à l’eau basse pression avant la consolidation des joints à la chaux hydraulique formulée sur analyse pétrographique. Dans la halle, le décor polychrome fera l’objet d’une campagne de sondages stratigraphiques pour déterminer les teintes d’origine avant toute remise en peinture.

L'impact environnemental sera réduit
La Ville s’est engagée sur deux objectifs mesurables :
- une baisse d’au moins 20 % de la consommation énergétique totale (chaud et électricité)
- une réduction de 10 % des prélèvements d’eau, références prises sur la moyenne 2022-2024
Un plan de mesure-vérification assorti de pénalités sera intégré aux marchés pour garantir ces résultats. Au-delà, la démarche économie circulaire imposera le réemploi in situ de menuiseries, faïences et serrurerie, et l’utilisation de bétons formulés avec 30 % de granulats recyclés pour les voiles intérieurs sans impact visuel. Ces dispositions devraient limiter de 460 t l’empreinte carbone du chantier par rapport à une rénovation énergétique conventionnelle, selon l’estimation jointe au dossier de consultation.
Cofinancements publics : un puzzle en cours de bouclage
La Ville table sur un taux de subvention extérieure d’environ 25 %. Le premier concours acté concerne la Région Bretagne : le Contrat métropolitain de relance et de transition écologique (CMRTE 2021-2027) flèche une aide de 700 000 € pour les seules études de maîtrise d’œuvre estimées à 1,3 M €. Rennes Métropole sollicite par ailleurs le volet « Patrimoine-sport » du Contrat de plan État-Région 2021-2027, la Dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et le dispositif « Plan 5 000 équipements sportifs » opéré par l’Agence nationale du sport ; l’objectif affiché est de sécuriser encore 4 à 5 M € d’aides d’ici au bouclage financier prévu à l’automne 2026.
Le Département d’Ille-et-Vilaine n’a pas, à ce stade, formalisé de participation mais soutient déjà l’opération Villejean ; les élus rennais indiquent qu’une enveloppe sera sollicitée dans le cadre du nouveau Pacte départemental de solidarité territoriale. Enfin, un dossier européen FEDER pourra être déposé si, après travaux, les gains énergétiques dépassent 30 % par rapport à la référence 2024 ; un pré-audit sera lancé en 2026 pour valider cette piste.