Encadrement des loyers : la pérennisation votée à l'Assemblée

Encadrement des loyers : les députés votent la pérennisation du dispositif

Rennes - Politique - Hervé Koffel le 15/12/2025

Jeudi dernier, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi pérennisant le mécanisme d'encadrement des loyers. Porté par les socialistes, le texte doit encore convaincre le Sénat. Mais pour les 72 collectivités où les loyers sont déjà encadrés, ce vote dessine un horizon moins incertain, à rebours des craintes des investisseurs qui redoutent un coup de frein sur le marché de l'immobilier locatif.

Un scrutin acquis dans un hémicycle clairsemé

C'est donc le jeudi 11 décembre 2025, les députés ont tranché en faveur de l'encadrement des loyers. Par 105 voix contre 56, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi portée par le député socialiste Iñaki Echaniz. Le texte a été examiné lors d'une « niche parlementaire », ces créneaux réservés aux groupes d'opposition pour inscrire leurs propositions à l'ordre du jour.

Six textes socialistes ont ainsi été soumis au vote ce jour-là. Celui sur l'encadrement des loyers a recueilli le soutien unanime de la gauche, face à une faible mobilisation du camp gouvernemental et de l'extrême droite.

L'objectif affiché : mettre fin au caractère provisoire du dispositif. Depuis 2018, l'encadrement des loyers fonctionne sous le régime de l'expérimentation. Sa date butoir, fixée au 25 novembre 2026, plane comme une épée de Damoclès sur les collectivités qui l'appliquent. En supprimant cette échéance, la proposition de loi entend offrir aux maires un outil durable pour réguler les prix dans les zones où le marché locatif s'emballe.

Le gouvernement n'a pas caché ses réticences. Sans s'opposer frontalement, l'exécutif a émis des réserves sur le calendrier et la méthode, mais malgré ces doutes, le texte a passé l'obstacle de l'hémicycle.

Date du scrutin 11 décembre 2025
Voix pour 105
Voix contre 56
Collectivités concernées par l'encadrement 72

Un mécanisme de régulation né sous tension

L'encadrement des loyers a d'abord vu le jour avec la loi ALUR de 2014, portée par Cécile Duflot. Paris l'applique dès 2015, mais le dispositif est annulé par la justice administrative en 2017 pour des raisons de périmètre géographique. Retour à la case départ.

La loi ELAN du 23 novembre 2018 relance la machine sous une forme prudente : l'expérimentation. Son article 140 autorise les collectivités volontaires à plafonner les loyers pour une durée initiale de cinq ans. La loi 3DS du 21 février 2022 accorde un sursis de trois ans, repoussant l'échéance au 25 novembre 2026. Plus récemment, la loi Bélim du 13 juin 2025 a ouvert le dispositif aux territoires d'Outre-mer pour cinq années supplémentaires.

Concrètement, comment fonctionne ce plafonnement ? Chaque année, le préfet publie un arrêté qui fixe trois niveaux de loyer pour chaque type de logement et chaque secteur géographique. Le loyer de référence correspond au loyer médian observé par l'Observatoire local des loyers (OLL). Le loyer de référence majoré, plafond à ne pas dépasser, est supérieur de 20 %. Le loyer de référence minoré, lui, se situe 30 % en dessous. Un propriétaire peut appliquer un « complément de loyer » uniquement si son bien présente des caractéristiques exceptionnelles (terrasse, vue dégagée, prestations haut de gamme) et à condition de le justifier dans le bail.

Toutes les villes ne peuvent pas prétendre à ce dispositif, car Il faut remplir plusieurs critères cumulatifs : un écart marqué entre les loyers du parc privé et ceux du parc social, un niveau de loyer médian élevé, une faible production de logements neufs et des perspectives de construction limitées. En clair, seules les zones tendues (là où la demande écrase l'offre) sont éligibles. La décision revient aux intercommunalités (EPCI) ou aux métropoles, qui déposent leur candidature auprès du ministère.

encadrement des loyers pérennisé
© Julia Zavalishina - Shutterstock

De Paris au Pays Basque : 72 collectivités sous plafond

La carte de l'encadrement des loyers s'est dessinée par vagues successives. Paris a ouvert le bal le 1er juillet 2019, six ans après l'échec de la première tentative. Lille et ses communes associées (Hellemmes et Lomme) ont suivi le 1er mars 2020. La banlieue parisienne a emboîté le pas avec les neuf villes de Plaine Commune (Saint-Denis, Aubervilliers, La Courneuve, Épinay-sur-Seine, L'Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Ouen, Stains, Villetaneuse) en juin 2021, puis celles d'Est Ensemble (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, Romainville) en décembre de la même année.

Les grandes métropoles régionales ont rejoint le mouvement en 2021 et 2022. Lyon et Villeurbanne appliquent le dispositif depuis le 1er novembre 2021. Montpellier a franchi le pas le 1er juillet 2022, Bordeaux deux semaines plus tard. Plus récemment, 24 communes du Pays Basque (d'Anglet à Saint-Jean-de-Luz, de Bayonne à Biarritz) ont intégré le dispositif le 25 novembre 2024. Grenoble-Alpes Métropole a complété cette liste en 2025.

Au total, 72 collectivités appliquent le plafonnement des loyers, et la liste pourrait s'allonger. Marseille, l'agglomération d'Annemasse et plusieurs communes du Val-de-Marne (Arcueil, Cachan, Ivry-sur-Seine, Vitry-sur-Seine, entre autres), ainsi que Nantes ont déposé leur candidature. Leur entrée dans le dispositif est attendue courant 2025 ou 2026, si toutefois le cadre juridique de l'expérimentation perdure.

Chronologie de l'encadrement des loyers par territoire
Territoire Date d'entrée en vigueur Nombre de communes
Paris 1er juillet 2019 1
Lille, Hellemmes, Lomme 1er mars 2020 3
Plaine Commune 1er juin 2021 9
Lyon, Villeurbanne 1er novembre 2021 2
Est Ensemble 1er décembre 2021 9
Montpellier 1er juillet 2022 1
Bordeaux 15 juillet 2022 1
Pays Basque 25 novembre 2024 24
Grenoble-Alpes Métropole 2025 19

Un clivage gauche-droite qui structure le débat

D'un côté, les défenseurs du dispositif brandissent l'argument social. « Face à la crise du logement, deux choix s'offrent à nous : rester passifs face à l'envolée des prix ou agir pour encadrer cette hausse », a plaidé Iñaki Echaniz lors des débats. Pour la gauche, le plafonnement constitue un rempart contre la spéculation et l'éviction des ménages populaires des centres-villes.

De l'autre côté de l'hémicycle, la droite et l'extrême droite dénoncent un dispositif contre-productif. Philippe Lottiaux, député RN, estime que la mesure risque de « rajouter un clou au cercueil » du logement en réduisant l'offre locative. Le ministre du Logement Vincent Jeanbrun (ex-LR) a quant à lui jugé le « calendrier prématuré », préférant attendre les conclusions de la mission d'évaluation confiée à deux économistes.

En outre, une étude de l'Observatoire Clameur publiée le mois dernier suggérait que l'encadrement des loyers apparaîtrait comme "contre-productif" dans certaines villes, mais c'est à prendre avec des pincettes étant donné le manque de chiffres sur le sujet.

Malgré ces oppositions, l'opinion publique semble acquise. Selon un sondage Ipsos réalisé pour la Fondation pour le logement des défavorisés, 87 % des Français se déclarent favorables à l'encadrement des loyers, y compris 85 % des propriétaires. Un plébiscite qui pèsera dans la suite du débat parlementaire.

Sénat, rapport d'évaluation : un calendrier serré

Adopté en première lecture à l'Assemblée, le texte doit désormais franchir l'obstacle du Sénat, où la majorité de droite et du centre pourrait se montrer moins conciliante. En cas de désaccord persistant entre les deux chambres, une commission mixte paritaire (CMP) serait convoquée pour tenter de trouver un compromis. À défaut, la navette parlementaire reprendrait, un scénario qui allongerait considérablement les délais.

L'expérimentation actuelle expire le 25 novembre 2026. Si aucune loi n'est promulguée d'ici là, les 72 collectivités concernées se retrouveraient sans base juridique pour maintenir le plafonnement. Les arrêtés préfectoraux fixant les loyers de référence deviendraient caducs. Pour les locataires, ce serait un retour au régime de droit commun et potentiellement une envolée des loyers dans les zones les plus tendues.

Autre échéance à surveiller : le rapport d'évaluation national. Le gouvernement doit remettre au Parlement, au plus tard en mai 2026, un bilan complet de l'expérimentation. Ce document pourrait peser dans les débats au Sénat et orienter la position de l'exécutif. En attendant, plusieurs collectivités candidates patientent dans l'antichambre, leur dossier suspendu à l'avenir du dispositif.

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