Budget 2026 : le statut du bailleur privé adopté par le Sénat
Dimanche 30 novembre 2025, le Sénat a validé la création du statut du bailleur privé, pièce maîtresse du projet de loi de finances pour 2026. Cette réforme fiscale, attendue depuis plus d'une décennie, ouvre aux propriétaires la possibilité d'amortir un bien en location classique, un avantage jusqu'ici réservé à la location meublée. C'est un pas de plus vers l'adoption définitive du statut, après avoir déjà été voté par les députés à Assemblée, et malgré le rejet du budget en première lecture.
Un mécanisme d'amortissement inédit pour la location nue
Actuellement, seuls les propriétaires de logements meublés peuvent pratiquer l'amortissement comptable de leur bien. Ce privilège fiscal, cœur du statut LMNP (loueur en meublé non professionnel), permet de gommer une partie des revenus locatifs en déduisant chaque année une fraction de la valeur du logement. Les bailleurs en location nue, eux, doivent se contenter du régime des revenus fonciers classique, nettement moins avantageux.
Si le statut du bailleur privé venait à être définitivement voté au budget, dès 2026, un particulier qui acquiert un logement pour le louer nu pourra déduire de ses revenus fonciers une quote-part annuelle du prix d'achat (hors terrain). En clair : l'administration fiscale accepte de considérer que le bien perd de la valeur avec le temps, et autorise le propriétaire à répercuter cette « usure théorique » sur sa déclaration d'impôts.
Dans la version adoptée par les sénateurs, le taux d'amortissement du bailleur privé varie selon le niveau de loyer pratiqué. Plus le propriétaire consent un effort sur le montant du loyer, plus l'avantage fiscal grimpe :
- 3,5 % par an pour un logement à loyer intermédiaire (niveau Loc 1)
- 4,5 % par an pour un logement à loyer social (niveau Loc 2)
- 5,5 % par an pour un logement à loyer très social (niveau Loc 3)
Ces seuils de loyers correspondent aux plafonds du dispositif Loc'Avantages, qui impose des décotes de 15 % à 45 % par rapport aux prix du marché local.
La base amortissable ne peut excéder 80 % de la valeur du bien. Par ailleurs, la déduction annuelle est plafonnée à 8 000 euros par foyer fiscal, pour un maximum de deux logements. Ces limites sont imposées afin d'éviter que le dispositif ne devienne une machine à déficit foncier pour les gros patrimoines.
Concrètement, que peut espérer un investisseur ? Prenons l'exemple d'un appartement neuf acheté 300 000 € et loué à un niveau intermédiaire. Avec un taux de 3,5 % appliqué sur 80 % de la valeur (soit 240 000 €), la déduction annuelle atteint 8 400 € (ramenée à 8 000 € après plafonnement). Sur 25 ans, l'intégralité de la base amortissable aura été déduite. Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, a résumé l'équation devant les sénateurs : ce mécanisme permet de neutraliser en 25 ans une opération d'investissement de 300 000 €.
Des conditions d'engagement strictes
Pour bénéficier de l'avantage fiscal, les investisseurs devront accepter un carcan de contraintes qui distingue nettement ce dispositif d'un simple placement immobilier.
1. La durée de location
Les propriétaires qui acquièrent un bien entre 2026 et 2028 devront s'engager à le louer pendant au moins 12 ans. De nombreuses années durant lesquelles le logement devra rester occupé par un locataire, sans interruption prolongée. Exit les velléités de revente rapide ou de récupération du bien pour un usage personnel.
2. Le niveau de loyer
Le propriétaire ne fixe pas librement le montant du bail. Il doit respecter les plafonds Loc'Avantages évoqués plus haut. Plus la décote consentie est importante, plus le taux d'amortissement grimpe, mais plus le rendement locatif brut s'érode.
3. La nature du bien
Le statut du bailleur privé cible deux catégories de logements. D'un côté, les acquisitions dans le neuf, y compris les ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA). De l'autre, les logements anciens qui font l'objet d'une rénovation conséquente, avec des travaux devant représenter au moins 20 % du coût total de l'opération. Un clause destinée à encourager la remise sur le marché de passoires thermiques réhabilitées.
4. L'usage
Le logement doit être loué nu, c'est-à-dire sans meubles, et servir de résidence principale au locataire. Les locations saisonnières, les meublés de tourisme ou les résidences secondaires n'entrent pas dans le périmètre. Le législateur entend ainsi flécher l'investissement vers le parc locatif de long terme, là où les besoins se font les plus criants.
5. Le nombre d'investissements
Enfin, comme mentionné plus haut, le dispositif impose un plafond quantitatif : deux logements maximum par foyer fiscal. Une limite qui empêche les investisseurs les plus fortunés de multiplier les opérations pour accumuler les déductions.
Un parcours législatif mouvementé
Le statut du bailleur privé a traversé de multiples turbulences avant d'atteindre sa forme actuelle. Tout commence en juin 2025, lorsque le sénateur Marc-Philippe Daubresse et le député Mickaël Cosson remettent leur rapport au gouvernement. Leur préconisation : un taux d'amortissement de 5 % pour le neuf et 4 % pour l'ancien, à condition de réaliser des travaux représentant 15 % de la valeur du bien.
Le 23 octobre 2025, le ministre du Logement Vincent Jeanbrun dépose un amendement limitant l'amortissement à 2 % par an, avec un plafond de 5 000 €. La FNAIM qualifie aussitôt le dispositif de « pansement sur une hémorragie ».
Le 14 novembre, l'Assemblée nationale trouve un compromis transpartisan. Gauche, centre et droite s'accordent sur une version intermédiaire : des taux de 3,5 % à 5,5 % selon le niveau de loyer, un plafond relevé à 8 000 €. Le texte passe par 158 voix contre 49.
Coup de théâtre une semaine plus tard. Dans la nuit du 21 au 22 novembre, l'Assemblée rejette à la quasi-unanimité le projet de loi de finances : 404 voix contre, une seule pour. Conséquence mécanique : le texte transmis au Sénat est la copie initiale du gouvernement, sans aucun des amendements adoptés par les députés. Le statut du bailleur privé semble repartir à zéro.
Le 30 novembre, Marc-Philippe Daubresse revient à la charge dans l'hémicycle du Palais du Luxembourg. Son amendement reprend les propositions de son rapport : un amortissement forfaitaire de 5 % par an, assorti d'un bonus pouvant atteindre 2 % pour les loyers abordables. Coût estimé par Bercy : 4,7 milliards d'euros.
La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin monte au créneau. Elle sous-amende le texte pour revenir à la version votée par les députés le 14 novembre, quatre fois moins coûteuse. « Votre amendement est plus puissant mais il est aussi beaucoup plus coûteux », tranche-t-elle. Le Sénat finit par adopter les sous-amendements gouvernementaux.
Amel Gacquerre, sénatrice centriste, ne cache pas sa déception face à cette version édulcorée. Aujourd'hui, on manque de logements locatifs sur le marché partout en France. Et pour ça, il nous faut un dispositif ambitieux
, lance-t-elle à ses collègues. Au final, le coût du dispositif reste fixé à 1,2 milliard d'euros d'ici 2028 (seulement pour le logement neuf).
À noter que le statut du bailleur privé, malgré son adoption par le Sénat, n'est pas encore définitivement entériné. Il doit encore franchir plusieurs étapes et aller-retours parlementaires, ainsi que le vote final de la loi de finances pour 2026 avant d'être promulgué. S'il survit aux obstacles suivants, il devrait en théorie entrer en vigueur au 1er janvier 2026.