Cap 44 à Nantes : la Cité des imaginaires transforme le patrimoine industriel en lieu culturel
Derrière son bardage bleu vieillissant, le Cap 44 cache un trésor architectural. Cette ancienne minoterie du Bas-Chantenay, premier bâtiment industriel en béton armé du monde, renaîtra fin 2028 sous la forme d'une Cité des imaginaires. Le projet de 50 millions d'euros accueillera le grand musée Jules Verne, une médiathèque et un toit-terrasse panoramique face à la Loire. La métropole nantaise parie sur la culture pour ressusciter ce géant endormi depuis 1895.
Un patrimoine industriel exceptionnel ressuscité
L'histoire du Cap 44 commence en 1895 sur les quais de Loire. Les Grands Moulins de Loire surgissent alors dans le paysage nantais grâce au procédé révolutionnaire de l'ingénieur François Hennebique. Cette technique de construction en béton armé, qui mêle acier et ciment pour créer une résistance inédite, fait du bâtiment le premier édifice industriel de grande ampleur au monde utilisant cette méthode. Un exploit technique qui place Nantes à la pointe de l'innovation architecturale du XIXe siècle.
La minoterie industrielle alimente pendant des décennies l'économie agroalimentaire locale. Ses machines broient le grain pour approvisionner notamment les biscuiteries nantaises, rouage essentiel du tissu industriel ligérien. Puis viennent les métamorphoses : entrepôt, puis dans les années 1970, reconversion en immeuble tertiaire. Le bâtiment prend le nom de Cap 44 et se voit affubler d'un bardage métallique bleu qui enterre la structure originelle sous une carapace controversée.
Le site occupe un emplacement stratégique dans le Bas-Chantenay, coincé entre la Loire au sud et l'ancienne carrière Miséry transformée en Jardin extraordinaire au nord. Beaucoup y voient un obstacle visuel, une masse opaque qui coupe la ville du fleuve. En 2013, les bureaux ferment. Le bâtiment s'endort. Au printemps 2018, Nantes Métropole lance six mois de concertation citoyenne sur son devenir : faut-il démolir ou préserver ? La réponse tombe en novembre 2018. Johanna Rolland, maire de Nantes, tranche pour la conservation. Le patrimoine l'emporte sur la table rase.
« L’air des temps n’est pas au développement de grands équipements culturels, notamment en Pays de la Loire. Mais ici, à Nantes, avec cette future Cité des imaginaires, nous faisons le pari d’une culture rassembleuse, une culture qui émancipe et fait société. »
Johanna Rolland, Maire de Nantes et présidente de la métropole
La Cité des imaginaires : un programme ambitieux
Le chantier mobilise 50 millions d'euros, dont 38 millions apportés par Nantes Métropole. Le solde provient de subventions, notamment 500 000 € du Fonds vert. Ce budget propulse le projet parmi les grands équipements culturels ligériens, aux côtés du Muséum d'histoire naturelle (46 millions d'euros) dont la rénovation s'achèvera également.
Sur 5 000 m² répartis sur cinq niveaux, la Cité des imaginaires orchestrera une symphonie d'usages. Le rez-de-chaussée accueillera le Jardin Hennebique, espace végétalisé baptisé en hommage à l'ingénieur, flanqué d'un café ouvert sur les quais. Au premier étage, une médiathèque-ludothèque dessinera un tiers-lieu où consulter, emprunter, se rencontrer. Ce type d'espace hybride mêle bibliothèque classique et lieu de vie sociale, loin des codes austères des établissements traditionnels.
Le deuxième niveau consacrera 1 000 m² au musée Jules Verne, contre 250 m² actuellement dans la maison bourgeoise de la butte Sainte-Anne. Multipliée par quatre, la surface permettra de déployer les collections constituées depuis trente ans : manuscrits originaux, lettres de l'écrivain nantais, archives léguées par son fils et son petit-fils, objets personnels. La métropole a récemment acquis 350 œuvres d'un fonds exceptionnel qui enrichiront le parcours permanent. Les thématiques abordées ratisseront large : science-fiction, création artistique, imaginaire appliqué à la nature ou à la ville.
Les étages supérieurs hébergeront un auditorium, des ateliers de médiation et des espaces de résidences pour accueillir créateurs et artistes. Écrivains, paysagistes, plasticiens, scientifiques ou vidéastes pourront y travailler sur des projets liés aux imaginaires. Un espace d'exposition temporaire déclinera une programmation évolutive autour des mondes contemporains. Au sommet, le toit-terrasse offrira gratuitement un panorama à 360 degrés sur la Loire, l'île de Nantes, le village de Trentemoult et le Jardin extraordinaire. Vingt-cinq mètres de hauteur pour embrasser l'estuaire du regard.
Une architecture qui révèle et dialogue
En septembre 2022, Nantes Métropole Aménagement lance un appel à candidatures auquel plus de 160 équipes répondent présentes, un beau signe de l'attractivité du projet au-delà des frontières françaises. Trois finalistes émergent début 2023. Le choix définitif, annoncé en 2024, sacre le duo formé par le cabinet néerlandais Neutelings Riedijk Architects et l'agence nantaise ARS Architectes. Cette alliance entre expertise internationale et ancrage local promet une transformation qui respecte l'ADN du bâtiment.
Le parti pris architectural tient en un mot : révéler. Fini le bardage bleu qui étouffait la structure. La « forêt » de poteaux-poutres en béton armé, élément emblématique du procédé Hennebique, sera mise à nu et sublimée. Les deux derniers niveaux du Cap 44 disparaissent, ainsi qu'une portion de la partie Est. Cette déconstruction partielle allège la silhouette et ouvre des percées visuelles. L'idée germe : transformer le mastodonte en une structure aérienne qui dialogue avec son environnement plutôt que de lui tourner le dos.
Au cœur du dispositif, le « jardin couvert » crée un espace intérieur vitré qui relie le bâtiment à la Loire et au Jardin. Les nouveaux volumes s'insèrent entre « terre » et « ciel », expression des architectes pour désigner les strates programmatiques. La « toiture-jardin » offrira des points de vue extraordinaires sur l'estuaire et la métropole. Ce belvédère deviendra un repère dans le paysage urbain, un signal culturel visible depuis les deux rives.
La Cité fonctionnera comme « une machine climatique », tirant parti des vents ligériens pour rafraîchir naturellement les espaces. La façade sud-ouest capte soleil et lumière, tandis que la façade nord-est apporte fraîcheur et éclairage indirect. Isolation performante, étanchéité à l'air renforcée, parois captatrices de chaleur : l'équipement vise de hautes performances énergétiques. À l'image de nombreux programmes immobiliers neufs Nantais écoresponsables aujourd'hui, les matériaux biosourcés (chaux-chanvre) et géosourcés (brique de terre) remplacent autant que possible les produits conventionnels.
Le réemploi fait aussi partie intégrante de la démarche, avec plusieurs éléments démontés de l'ancien Cap 44 qui ont rejoint l'économie sociale et solidaire : cloisons modulaires, dalles de faux plafond et équipements électriques récupérés par l'association L'Etabli à Angers, solives en bois confiées à l'association Gueules de Bois à Nantes. Rien ne se perd, tout se transforme.
Quel calendrier pour le projet ?
En septembre 2025, lors des Journées européennes du patrimoine et du matrimoine, le bâtiment a ouvert ses portes une dernière fois avant travaux. Les curieux ont pu déambuler entre les colonnes de béton, découvrir l'ossature de béton dans son état brut, capter les volumes avant leur métamorphose. L'automne 2025 marque le démarrage des premiers travaux de transformation, et des deux années de chantier qui s'annoncent.
Fin 2028, le lieu ouvrira ses portes pour célébrer le bicentenaire de la naissance de Jules Verne, né à Nantes le 8 février 1828. Une coïncidence temporelle qui donne une résonance symbolique au projet : deux cents ans après la venue au monde de l'écrivain des possibles, sa ville lui offre un écrin pour faire vivre ses imaginaires.
Autour du projet, une mutation plus vaste du Bas-Chantenay s'opère. Ce quartier de 5 000 habitants et 150 hectares, ancienne terre d'industries et de chantiers navals, connaît une recomposition urbaine d'ampleur. La Cité des imaginaires dialoguera avec le Jardin, ouvert en 2019 dans l'ancienne carrière Miséry. À proximité, l'Arbre aux hérons, attraction mécanique géante, devrait prendre racine dans les années à venir. Le Bas-Chantenay bascule progressivement du patrimoine industriel vers une vocation culturelle et touristique.
La gare de Chantenay et le Navibus connectent déjà le quartier au reste de la métropole. Les quais de Loire seront désimperméabilisés, les cheminements piétonniers plantés d'espèces locales pour faciliter les parcours entre ville, fleuve et équipements culturels et ainsi faire du quartier un lieu de vie et de déambulation plutôt qu'un îlot enclavé.
Le Muséum d'histoire naturelle, fermé pour travaux en 2025, rouvrira simultanément avec des surfaces d'exposition doublées. Nantes multiplie les équipements structurants, et la Cité des imaginaires s'ajoutera à cette constellation, avec l'ambition de capter un large public métropolitain, régional et touristique. Les projections de fréquentation restent à affiner, mais son emplacement en bord de Loire laisse espérer un rayonnement fort.
Jules Verne et les imaginaires contemporains
En 2019, un comité scientifique de 15 membres a posé les bases programmatiques. Chercheurs, artistes et acteurs culturels ont croisé leurs expertises : le réalisateur Marc Caro, le concepteur de (feu) l'Arbre aux hérons François Delarozière, des spécialistes de l'œuvre vernienne, les directeurs du Muséum et du lieu unique. Ils avaient pour mission de dépasser le cadre classique du musée pour imaginer un lieu vivant, pluridisciplinaire, où les imaginaires d'hier éclairent ceux d'aujourd'hui.
Dans cet espace pour rêver de mondes imaginaires, Jules Verne apparaît comme un point de départ plutôt qu'une fin en soi. Ses voyages extraordinaires, son rapport à la science et au progrès, ses utopies et ses craintes servent de tremplin pour interroger notre époque.
La dimension tiers-lieu encourage les publics à contribuer, créer, échanger. Expositions temporaires, dispositifs ludiques, rencontres avec des créateurs, festivals d'idées : le programme mise sur l'hybridation des formats et des disciplines. Science-fiction, pop culture, imaginaire urbain, écologie, technologies... Les thématiques verniennes irriguent des questionnements contemporains. Comment habiter demain ? Quels rapports aux machines, à la nature, aux altérités ? La Cité des imaginaires entend faire du passé un laboratoire pour penser l'avenir.
« Tout ce qui est impossible reste à accomplir. » - Jules Verne.