
Nantes entame la relance de la production de logements sociaux

La métropole nantaise affronte une sévère crise du logement : chantiers à l'arrêt, montée des coûts de construction et millier de ménages en quête d'un toit. Pour éviter que l'objectif des 6 000 livraisons annuelles ne reste vœu pieux, un plan de relance avait été voté à la mi-2023 : 20 € M fléchés vers le logement social, la mobilisation foncière et la reprise d'opérations bloquées.
Deux ans plus tard, l'exécutif revendique 5 374 logements neufs logements neufs débloqués et porte désormais l'enveloppe budgétaire à 47 €M pour franchir un nouveau palier. Mais comment Nantes est-elle passée de l'annonce aux résultats ? Les détails dans cet article.
20 €M pour remettre les grues en marche
C'est fin juin 2023 que Nantes Métropole a adopté un plan d'urgence doté d'une enveloppe inédite : 20 millions d'euros sur trois ans, venant s'additionner aux 69,9 €M déjà inscrits dans le programme pluriannuel d'investissement 2021-2026. L'objectif était alors de faire sortir de terre les opérations bloquées par la hausse des coûts de construction et des taux.
Le document poursuit 5 engagements pour soutenir la production de logements sociaux, aider l'accession abordable, fluidifier les permis, alléger le coût du foncier et maintenir l'emploi local pour 16 mesures complètes. Parmi elles : avances de trésorerie aux bailleurs, rachat par la Métropole des lots invendus afin de les transformer en logements sociaux, et abondement d'un fonds de portage financier capable de casser le prix du mètre carré constructible.
Les priorités ont été hiérarchisées :
- Pour le logement social, la moitié de la dotation, soit 10 M€, est fléchée vers Nantes Métropole Habitat pour sécuriser la livraison de 800 logements sociaux.
- Pour l'accession abordable, 4 €M mobilisent le Bail réel solidaire et les PSLA afin de maintenir un prix de vente inférieur à 3 000 €/m2.
- Pour le foncier mobilisable, 6 M€ nourrissent le rachat de terrains stratégiques ou d'opérations vacillantes, histoire de relancer immédiatement les grues.
Nous devions éviter que les programmes sortent des radars ou se transforment en friches à plan gelé
résume Pascal Pras, vice-président chargé de l'urbanisme durable. En moins d'un an, la boîte à outils est opérationnelle et les premiers appels à projets arrivent sur le bureau des promoteurs dès l'automne 2023.
Les mesures clés dévoilées depuis 2023
Des aides directes pour tenir les coûts
Premier levier : des subventions versées au fil du chantier, destinées à combler l'écart né des surcoûts des matériaux ; 5 000 € par logement social et jusqu'à 4 % du coût de revient pour un programme privé à loyers maîtrisés. Cette injection de trésorerie, reconduite en 2025, a déjà sécurisé 37 opérations, soit 2 420 logements, dont 1 200 sociaux.
Un filet de sécurité sur les invendus
Afin d’éviter la « queue de programme », la Métropole s’engage comme acheteur de dernier recours : si, six mois avant livraison, plus de 20 % des lots restent sans acquéreur, elle mobilise son opérateur public pour reprendre les appartements au prix de revient et les convertir en locatif social. Quatre programmes à Rezé, Carquefou et sur l’île de Nantes, ont déjà déclenché cette clause pour libérer 268 logements.
Permis sous accompagnement express
Un guichet unique "Accélérateur d'instruction" réunit urbanistes, architectes des Bâtiments de France et service voirie. L'objectif, ramené à neuf mois contre quatorze auparavant, est tenu pour 83 % des dossiers déposés depuis janvier 2024, soit un gain moyen de cinq mois de trésorerie pour les promoteurs.
Portage foncier : l'arme anti-spéculation
Dernier outil : un fonds de portage abondé de 60 €M, dont 22 €M déjà engagés. La SPL (société publique locale) Nantes Aménagement achète les terrains, gèle la charge foncière, puis rétrocède les droits à construire quand l’opération est bouclée financièrement ; la décote peut atteindre 120 €/m², soit plus de 10 % du prix final dans les secteurs tendus de Pirmil-Les Isles ou de Vertou. Résultat : des bilans redevenus viables et des loyers ou prix de vente maintenus sous les barres fixées par la Métropole.
5 374 logements débloqués, cap des 25 % de social atteint
Deux ans après le vote du plan, les compteurs affichent 5 374 logements débloqués, soit l'équivalent d'une année pleine de production avant crise. Sur cet ensemble, 1 864 unités relèvent du logement social, ce qui fait passer la part métropolitaine au-dessus du seuil des 25 % fixé par le programme local de l'habitat. Au total, 95 opérations ont été remises sur les rails ; deux d'entre elles l'îlot Bottière II à Nantes Nord et la résidence Chêne-Vert à Sainte-Luce-sur-Loire sont déjà livrées et occupées.
La carte des chantiers se lit désormais à l'échelle de la Métropole :
- L'île de Nantes et Pirmil-Les-Isles concentrent 38 % des logements redémarrés, avec des programmes mixant social, accession libre et bail réel solidaire.
- Vertou et Sainte-Luce-sur-Loire concentrent 840 logements qui profitent du portage foncier pour contenir le prix final.
La fédération départementale du BTP estime à +6% le volume d'heures travaillées au premier semestre 2025 par rapport à 2024, une bouffée d'air pour un secteur qui avait perdu 600 emplois en deux ans. Pour la Métropole, l'équation est claire : un chantier relancé, c'est un toit supplémentaire, mais aussi des emplois maintenus et une dynamique économique relancée.
Une enveloppe portée à 47 M€
Face à un marché qui reste fragile, le conseil métropolitain a voté au printemps 2025 un doublement de la dotation, portée de 20 M€ à 47 M€. Cette rallonge vise deux cibles précises :
- + 5 M€ pour le Bail Réel Solidaire (BRS). L’apport métropolitain passe à 15 000 € par logement contre 10 000 € auparavant, de quoi abaisser le ticket d’entrée sous 2 800 €/m² et sécuriser 300 ventes supplémentaires d’ici fin 2026.
- + 10 M€ pour le rachat d’invendus. La garantie d’achat monte à 20 % du prix de revient des programmes en difficulté ; 420 lots pourront être repris puis transformés en locatif social ou intermédiaire, évitant l’arrêt de nouveaux chantiers.
- Le coût de construction, toujours 15 % plus élevé qu’avant-crise malgré l’amorce de détente sur le bois et l’acier. Sans industrialisation accrue (modules hors site, filière biosourcée) la marge des promoteurs reste sous pression.
- L’acceptabilité locale : après quinze ans de densification, certains quartiers saturent. La métropole mise sur la densité « en hauteur raisonnée » et la transformation de friches pour éviter l’étalement, mais il faudra convaincre habitants et maires périphériques de la plus-value apportée.
- La sortie durable des taux hauts : même un repli à 3 % ne suffira pas à rétablir tous les bilans ; la collectivité compte donc prolonger l’aide au BRS et le rachat d’invendus au moins jusqu’en 2028 pour amortir les à-coups financiers.
Parallèlement, Nantes Métropole dépose une nouvelle candidature à l’ encadrement des loyers auprès du ministère, arguant d’une tension locative sous 2 % et de hausses de loyers supérieures à 13 % en cinq ans. La collectivité signe aussi la convention « Territoires engagés pour le logement », qui conditionne la dotation de l’État au maintien d’un objectif annuel de 6 000 mises en chantier et à un taux de logement social d’au moins 25 %.
3 laboratoires urbains : une même équation carbone
Robien-Launay : quartier test de la "densité douce"
Sur 12 hectares libérés par l'ancien site Colas, la métropole pilote une maille de 620 logements où la hauteur plafonne à R+4 disséminés autour d’un parc linéaire planté de 450 arbres. Trame viaire limitée à 20 % de l’emprise, chaussées à sens unique et parkings mutualisés en sous-sol : l’objectif est de passer sous les 200 m² de surface de pleine terre perdus par hectare construit. Les premiers îlots affichent une part de logement social portée à 35 % et 15 % d’accession BRS, gage d’une mixité visible dès la livraison.
Pirmil-Les-Isles : la couture métropolitaine
De l’autre côté de la Loire, ce nouveau quartier de 150 hectares doit accueillir 7 000 habitants et 5 000 emplois à l’horizon 2035. Les promoteurs signent une charte « Deux étages de plus » : sur élévations bois ou acier montées sur plots sismiques autorisent à passer de R+4 à R+6 sans élargir l’empreinte au sol. Le surcoût, évalué à 8 %, est compensé par la mutualisation des toitures en terrasses communes et par la vente d’énergie solaire produite in situ.
Île de Nantes : laboratoire des surélévations
Le quartier de la Création, déjà dense, teste depuis janvier 2024 des modules préfabriqués bois-biosourcés ajoutés au-dessus d’immeubles des années 1980. Quatre ensembles pilotes totalisant 82 logements supplémentaires ont été montés en cinq mois, sans évacuer les occupants. L’opération, subventionnée à 250 €/m² par le fonds de portage foncier, permet d’éviter l’artificialisation de deux hectares de terrain périphérique.
En misant sur la “densité raisonnée” – étages additionnels, mutualisation des stationnements, toitures actives – Nantes Métropole cherche à démontrer qu’elle peut accueillir 20 000 résidents de plus sans pousser d’un centimètre son périmètre urbain, tout en garantissant une montée en gamme sociale et énergétique.
Perspectives 2026-2030
Une fois les grues relancées, le vrai défi sera de tenir la cadence. Nantes Métropole a déjà relevé son compteur : 7 000 mises en chantier par an à partir de 2026, si le marché du crédit retrouve un peu d’oxygène. Cette trajectoire suppose de sortir du « coup de fouet » budgétaire pour passer à un flux pérenne : sécuriser la commande publique, consolider les relais privés et sanctuariser le fonds de portage foncier au-delà de 2030.
Trois obstacles pourraient enrayer la mécanique :
Reste un atout majeur : une demande structurelle forte, plus de 10 000 ménages supplémentaires chaque année et un parc social qui doit encore progresser de 5 points pour atteindre l’objectif métropolitain. Si la métropole parvient à verrouiller le triptyque coût-acceptabilité-financement, la barre des 7 000 débuts de chantier pourrait bien devenir la nouvelle ligne de crête d’ici 2030.