
Fiscalité du bailleur privé : le futur dispositif d'amortissement se précise
Face à la pénurie de logements abordables, Bercy peaufine un futur « statut du bailleur privé ». Au menu : permettre aux propriétaires qui louent 15 % sous le marché et proposent des logements économes en énergie de pratiquer l’amortissement fiscal du bien – jusqu’ici réservé aux meublés –, étalé sur vingt à trente ans. L’idée, soutenue par les organisations de propriétaires, a franchi une étape le 20 mai, lorsque la ministre du Logement a réuni la filière pour valider les derniers arbitrages avant son inscription dans le projet de loi Logement attendu cet été, puis dans la loi de finances 2026.
IMMO9, votre spécialiste de l'immobilier neuf à Nantes décrypte les contours de ce dispositif.
Compte-rendu de la mission "statut du bailleur privé" du 30 juin 2025Un marché locatif sous tension
Après un répit très court début 2024, la pénurie de logements à louer s'est aggravée sur la plupart des grandes agglomérations. Selon un bilan MeilleursAgents diffusé en janvier 2025, l'offre locative a fondu de plus de 50 % en trois ans tandis que la demande progresse de 45 %. Résultat : la moindre annonce – surtout pour de petites surfaces - déclenche des files de candidats, et les loyers qui plafonnent souvent aux limites autorisées lorsqu'un encadrement existe.
La raréfaction de l'offre locative s'explique par un faisceau de causes. D'abord, le bannissement des logements G au DPE, entré en vigueur en janvier 2025, a conduit de nombreux propriétaires à retirer leurs biens du marché plutôt qu'à financer une rénovation lourde. Parallèlement, la remontée des taux d'emprunt et la hausse des taxes foncières ont grippé la rentabilité des investisseurs.
À cela s'ajoute la disparition progressive des incitations fiscales ciblées : l'extinction du Pinel pénalise le neuf ; dans l'ancien, l'abattement forfaitaire de 30 % du micro-foncier ne couvre plus les coûts de mise aux normes, tandis que le statut LMNP, désormais moins avantageux à la revente, séduit moins qu'auparavant. Enfin, la production de logements neufs s'effondre : la norme RE2020, combinée au renchérissement des matériaux, fait chuter les permis de construire et tarit l'arrivée de nouveaux biens sur le marché.
Genèse de la piste "amortissement"

Au début du printemps, l’Union nationale des propriétaires immobiliers a remis au gouvernement un mémorandum intitulé « Un nouveau regard sur le parc privé locatif ». Le document plaide pour la création d’un statut de bailleur privé adossé à un amortissement linéaire de 80 % de la valeur du bien – soit 2 % par an pendant quarante ans – et à un amortissement accéléré des gros travaux sur vingt ans.
L’organisation y voit le moyen de neutraliser l’usure réelle du bâti dans la fiscalité foncière, tout en maintenant la déductibilité des intérêts d’emprunt et des charges courantes. Plusieurs scénarios d’extension sont également formulés : application à l’ancien profondément rénové, transmission par donation ou succession sans perdre le bénéfice fiscal, et engagement de location minimale porté à dix ans.
Vers un mécanisme unique et lisible
Saisie de cette proposition, la task-force logement de Bercy a constaté la fragmentation des incitations existantes : micro-foncier à 30 %, réductions Pinel en extinction, amortissements du meublé appelés à être réintégrés lors de la revente. L’arbitrage rendu fin mai vise donc à remplacer ce patchwork par un dispositif unique :
- Amortissement comptable accessible à tous les logements, neufs ou anciens rénovés, sur une durée de 20 à 30 ans ;
- Contreparties claires : loyer plafonné 10 à 15 % sous le marché local et performance énergétique élevée (étiquette A ou B, tolérance C en zone détendue) ;
- Sortie de la logique de niche : mêmes règles pour la location nue et meublée, excepté le LMNP historique qui conserverait son régime mais avec réintégration des amortissements à la cession.
Quels seront les grands principes du dispositif ?

Un amortissement du bâti étalé sur 20 à 30 ans
Le cœur du nouveau statut serait un amortissement linéaire appliqué à la seule composante "construction" du bien : la valeur resterait hors base, comme en comptabilité d'entreprise. La durée d'étalement ferait l'objet d'un barème : 20 ans pour les logements neufs ou profondément restructurés, jusqu'à 30 ans pour l'ancien réhabilité plus modestement.
Le gouvernement veut, d’une part, aligner la déduction fiscale sur la réalité physique : le bien se déprécie un peu chaque année ; l’impôt baissera donc un peu chaque année, à la même cadence. D’autre part, le dispositif doit donner au propriétaire un avantage pérenne, toujours identique d’un exercice à l’autre, et non plus un coup de pouce ponctuel comme — aujourd’hui — l’abattement de 30 % du micro-foncier ou la réduction Pinel qui s’arrête au bout de quelques années. Concrètement, pour un logement ancien, le droit à amortir ne serait ouvert qu’après des travaux de rénovation lourde portant la performance énergétique au minimum au niveau B du DPE : l’avantage fiscal est ainsi réservé aux biens réellement remis aux normes.
Des contreparties explicites pour le propriétaire
L’avantage ne sera pas accordé sans conditions. Le projet retient un plafond de loyer situé entre 10 % et 15 % sous la médiane de marché publiée chaque année par l’observatoire local. Autrement dit, plus le bailleur consent un effort sur le prix, plus l’économie d’impôt issue de l’amortissement devient intéressante. À cette exigence tarifaire s’ajoute une contrainte écologique : seule une étiquette A ou B ouvrirait droit au régime, avec une tolérance pour le rang C dans les petites villes où la rénovation lourde reste plus coûteuse. L’idée est d’encourager simultanément la modération des loyers et la montée en gamme énergétique du parc locatif privé.
Un champ d’application volontairement large
Contrairement aux dispositifs actuels, cantonnés au logement meublé ou au neuf sous conditions, le futur statut se veut ouvert à toutes les typologies : maisons individuelles, copropriétés anciennes, programmes neufs et même petites opérations de division d'immeubles. Le seul impératif serait de respecter le triptyque "performance énergétique - loyer maîtrisé - engagement de durée".
Cette universalité doit simplifier la lisibilité fiscale et éviter la multiplication de niches ciblant un segment précis du marché. En clair, qu'il s'agisse d'un studio réhabilité dans le centre historique, d'une maison des années 1970 isolée par l'extérieur ou d'un appartement neuf labellisé RE2020, le propriétaire disposerait du même outil fiscal – sous réserve bien sûr que les travaux, le loyer et la durée d'engagement correspondent au cahier des charges national.
Quelles différences par rapport aux régimes actuels ?

Bailleur privé VS location meublée (LMNP)
Dans le régime LMNP, le propriétaire peut amortir la valeur du logement et du mobilier. Mais la règle comporte deux contraintes : l'opération doit être meublée - donc changer entièrement le bail et le mode de gestion – et, surtout, les amortissements déduits pendant la détention sont recalculés et ajoutés à la plus-value le jour de la revente. Autrement dit, l'avantage fiscal est "repris" au moment de sortir de l'investissement.
Le statut du bailleur privé se démarquerait sur ces deux points. D'abord, il resterait applicable à la location nue : inutile de meubler ou de passer sous un bail d'un an renouvelable. Ensuite, l'amortissement ne serait pas réintégré si le propriétaire respecte une durée d'engagement – une dizaine d'années - et les conditions de loyer et de performance énergétique. Le "cadeau" fiscal devient donc définitif, ce qui améliore la visibilité patrimoniale et simplifie la sortie.
Micro-foncier : l'abattement forfaitaire et ses limites
Le régime micro-foncier s'obtient dès que les loyers annuels ne dépassent pas 15 000 €. Il applique un abattement automatique de 30 % : simple et rapide, mais très approximatif. Il ne tient ni compte de l'état réel du logement, ni des travaux engagés, ni des intérêts d'emprunt. Résultat : un propriétaire qui dépense beaucoup pour rénover - ou pour rembourser son crédit - ne peut pas imputer ces charges et se retrouve potentiellement surtaxé. De plus, aucune condition énergétique n'est exigée : un logement classé F ou G profite du même abattement qu'un logement neuf.
Le futur dispositif, lui, remplace l'abattement par un amortissement calculé sur la base du coût réel et conditionne l'accès au bénéfice fiscal à une étiquette DPE élevée. Il se révèle donc plus précis sur le plan comptable et plus incitatif sur le plan environnemental, au prix d'une gestion comptable un peu plus lourde mais largement automatisable via les logiciels de déclaration foncière.
Freins potentiels et débats en cours

Un coût budgétaire difficile à calibrer
Chaque point d'amortissement accordé au bailleur représente, pour l'État, une recette fiscale en moins pendant 20 à 30 ans. Les premières simulations laissent entrevoir un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d'euros par an si le dispositif est ouvert sans plafond de valeur ou de nombre de logements.
Bercy planche donc sur des bornes de sécurité budgétaires : soit un plafonnement de la base amortissable par mètre carré, soit une décote progressive au-delà d'un certain nombre de logements détenus. Les parlementaires devront trouver l'équilibre entre incitation forte et dérive budgétaire.
Une mise en œuvre technique encore floue
Le rabais de 10 à 15 % sur le loyer de marché suppose un référentiel incontestable, identique pour tout le territoire. Or, aujourd'hui, plusieurs observatoires coexistent : bases notariales, base Clameur, statistiques locales de l'ANIL... Sans un barème unique, le risque est grand de voir émerger des contentieux ou des pratiques d'optimisation. Le ministère étudie la création d'un indice national géré par l'Insee, actualisé chaque trimestre, mais le niveau de détail requis (par commune, voire par quartier en zone tendue) reste à définir.
Un possible effet de déplacement vers le meublé
Les petites surfaces meublées conservent, même après la réforme, l'amortissement LMNP – certes réintégré à la plus-value, mais toujours attractif quand la rotation locative est rapide. Si le futur bailleur privé impose un loyer trop bridé ou des travaux trop lourds, les propriétaires de studios pourraient continuer à préférer le statut meublé, laissant le marché de la location vide sous-offert précisément là où la tension est la plus forte. Plusieurs fédérations professionnelles demandent donc que le nouveau régime reste optionnel, mais suffisamment incitatif pour concurrencer le LMNP et les petites surfaces.
La réussite du statut du bailleur privé dépendra de ces trois réglages : ne pas grever outre mesure les finances publiques, bâtir un baromètre de loyers indiscutable et redessiner les frontières avec la location meublée pour éviter les vases communicants.
Feuille de route législative
Le ministère du Logement vise un calendrier serré. Les groupes de travail doivent rendre leur rapport à la mi-juin 2025 ; leurs conclusions seront immédiatement transmises au comité interministériel, chargé de trancher les détails techniques durant l'été. Sur cette base, le gouvernement prévoit d'introduire, dès début octobre, un amendement spécifique dans le projet de loi de finances pour 2026.
L'objectif est de faire entrer le nouveau statut en vigueur le 1er janvier 2026, de façon à ce que promoteurs et investisseurs puissent l'intégrer aux programmes commercialisés à partir du second semestre 2025. Pour éviter toute zone grise, le ministère du Logement s'engage à publier avant la fin de l'année le décret d'application qui précisera la formule de calcul de la base amortissable et les plafonds de loyers.
Les députés, de leur côté, annoncent une série d'auditions dès juillet. La Cour des comptes et la Direction du budget seront sollicitées pour confirmer le coût net du dispositif, aujourd'hui estimé à un peu moins d'un milliard d'euros la première année, et pour tester la solidité des hypothèses macro-économiques qui accompagneront le texte.