Montpellier Antigone : la place Li Jieren, nouvel espace végétalisé et trait d’union sino-français

Montpellier Antigone : Inauguration de la place Li Jieren

Montpellier - Urbanisme & architecture - Hervé Koffel le 19/05/2025

Le 14 mai 2025, le quartier Antigone à Montpellier a inauguré la place Li Jieren, baptisée en hommage à l’écrivain et traducteur chinois. Figure singulière des échanges intellectuels franco-chinois, Li Jieren suivit des études à Montpellier dans les années 20 avant d’introduire la littérature française auprès du lectorat mandarin. Située derrière la célèbre Place de l'Europe, le nouvel aménagement a été conçu en lieu et place d'un parking.

La cérémonie, présidée par le maire Michaël Delafosse en présence de représentants consulaires chinois, inscrit Antigone dans une diplomatie urbaine fondée sur la culture et l’urgence climatique.

Antigone : laboratoire d’urbanisme et de transition écologique

Un quartier emblématique de l’urbanisme post-moderne

Conçu en 1979 sur 36 hectares d’anciennes friches industrielles, Antigone devait assurer le prolongement est-ouest de Montpellier jusqu’au Lez. L’architecte catalan Ricardo Bofill y déploie une composition néoclassique continue : séquence de places, gabarit d’immeubles à R+7 de logements neufs, arc monumental de la place du Nombre-d’Or et front bâti homogène renvoyant à la Grèce antique.

À l’origine dédié au logement social et aux équipements publics, le quartier abrite aujourd’hui 8 000 habitants, une piscine olympique, la médiathèque Emile-Zola et plusieurs sièges administratifs. Cette densité d’usages, pensée à la fin des Trente Glorieuses, explique la minéralité héritée des années 1980 : 74 % des sols y étaient encore imperméabilisés en 2020, selon les diagnostics environnementaux de la Ville.

D’un patrimoine minéral à la stratégie « ville apaisée »

L’exécutif municipal porte depuis 2021 une politique qualifiée de « désimperméabilisation massive ». Dans le centre-ville historique, l’axe Comédie-Esplanade récupère 3 400 m² de pleine terre, tandis que les cours d’école font l’objet de projets pilotes : une opération type libère jusqu’à 2 120 m² perméables, soit 67 % de la surface totale de la cour Jean-Mermoz.

Parallèlement, le « plan marchable » – en cours d’élaboration – requalifie les trottoirs et hiérarchise le réseau viaire afin de faire de la marche le premier mode de déplacement sûr et lisible.

Le réaménagement de l’arrière de la place de l’Europe

Le site devenu « place Li Jieren » s’adosse à la façade sud de la place de l’Europe, derrière la résidence Port-Juvénal. Avant travaux, il accueillait un parking de surface, saturé aux heures de pointe mais sous-occupé le soir. La reconversion répond à deux priorités de la métropole :

Le programme, livré au printemps 2025, comprend :

Li Jieren (1891-1962) : un écrivain chinois aux racines françaises

Une figure maîtresse du réalisme sichuanais

Né le 20 juin 1891 dans un foyer d’enseignants de Chengdu, Li Jieren – Li Jiaxiang dans son état civil – grandit entre lettrisme classique et pratique du dialecte local. Dès l’adolescence, il publie nouvelles et articles dans la presse réformiste de la province, avant de rejoindre le mouvement littéraire du 4 Mai, qui plaide pour la langue vernaculaire et l’ouverture aux influences occidentales. Son œuvre phare, la trilogie « Dead Water, Before the Storm, The Great Wave » (1936-1937), embrasse la vie politique et sociale du Sichuan fin-Qing à partir de personnages populaires ; le critique Mao Dun l’a qualifiée de « poutre faîtière du roman moderne ».

Soucieux d’exactitude historique, Li s’appuie sur des enquêtes dans les ruelles de Chengdu et sur des topo­graphies qu’il fait relever par des étudiants. Dans la Chine républicaine, il dirige successivement "La Gazette du Peuple" puis la revue "New Literary World" tout en traduisant Flaubert, Maupassant et Daudet vers le chinois, démarche rare à l’époque.

Après 1949, il occupe des fonctions municipales (vice-maire de Chengdu) mais reste attaché à l’idéal d’un réalisme social, révisant "The Great Wave" en 1958 pour atténuer son ton tragique – décision interprétée par les chercheurs comme une tentative d’adaptation aux canons du roman « révolutionnaire ».

Cinq années d’études et de traduction en France (1919-1924)

Envoyé en Europe dans le cadre du programme Travail-Études, Li Jieren arrive au Havre en 1919, travaille brièvement dans une filature de la région lyonnaise puis s’inscrit à la Sorbonne en auditeur libre de littérature comparée. Son journal évoque la découverte « d’une langue charpentée où chaque mot porte plus qu’il ne dit ». En 1922, il rejoint l’Université de Montpellier pour suivre les cours de Georges Dumesnil sur Zola et le naturalisme – séjour documenté par le registre des inscriptions et par la liste des alumni de l’établissement.

Installé rue Saint-Guilhem, il fréquente la bibliothèque Caroline, où il copie de longs passages de Madame Bovary afin de tester plusieurs équivalents en chinois moderne ; ces carnets sont aujourd’hui conservés au musée Li Jieren de Chengdu.

Entre 1923 et 1924, il livre dans "La Revue Franco-Chinoise trois essais" – « Le réalisme chez Maupassant », « Le mythe de l’Orient chez Flaubert » et « Dialecte et prose française » – que la chercheuse Yuehtsen Chung considère comme le « premier pont critique sino-français sur la traduction littéraire » (Source : Ohio State University). De retour en Chine, Li publie la première version intégrale chinoise de Madame Bovary (1926) et adapte Contes de la Bécasse (1927), ouvrant la voie à une génération de traducteurs.

Pourquoi Montpellier ? Un héritage académique et symbolique

La ville de Montpellier a accueilli l’écrivain durant sa phase d’apprentissage méthodologique et l’a convaincu de la pertinence du naturalisme ; il y a trouvé, selon une lettre adressée à son frère en 1924, « le soleil, le vin, les ruelles – presque le Sichuan ». Aujourd’hui, la municipalité rappelle également que Montpellier et Chengdu sont jumelées depuis 1981, première coopération sino-française de ce type.

Montpellier Antigone Place Li Jieren – Ville de Chengdu, Chine
(c) Mike Fuchslocher - shutterstock

Dès 2024, le maire Michaël Delafosse, en visite à la maison natale de Li, annonce vouloir donner un visage à l’amitié littéraire franco-chinoise ; la dénomination de la place concrétise cette intention, en plus de poursuivre la politique d’internationalisation du toponyme montpelliérain (25 % de nouvelles voies nommées depuis 2020 portent des noms non français).

Les services culturels voient dans cette figure un symbole à deux facettes : passeur linguistique et urbaniste pragmatique.

En reliant ainsi mémoire universitaire, diplomatie de jumelage et actualité environnementale (la place se veut laboratoire de renaturation), Montpellier met en récit un siècle de transferts culturels où la traduction devient vecteur d’urbanité.

De la dalle bétonnée à la place Li Jieren : En avant la renaturalisation

Un programme architectural orienté vers la pleine terre

Jusqu’en 2024, l’arrière de la place de l’Europe offrait l’image très ordinaire d’un parking à plat de 1 100 m², goudronné sur toute sa surface et bordé par la résidence Port-Juvénal. À la faveur de la réfection générale du quartier Antigone et du calendrier des travaux de la ligne Bustram 1, la Ville a décidé de convertir l’intégralité de cet îlot en « place jardin ».

Le cahier des charges élaboré par la Direction paysage & biodiversité visait un objectif minimum de 50 % de pleine terre ; le plan d’exécution en dépasse finalement légèrement la cible avec 620 m² désimperméabilisés, soit près de 56 % de la parcelle. Pour gagner en confort climatique, dix arbres de haute tige (chênes-lièges, micocouliers, pistachiers lentisques) ont été plantés ; à l’horizon 2030, leur houppier devrait générer une baisse moyenne de 3 à 4 °C du ressenti thermique en période caniculaire, selon les modélisations internes.

Deux bancs en pierre de Castries – matériau local à faible empreinte carbone – prolongent la ligne minérale héritée de l'architecte Bofill et offrent des assises à l’ombre. Le reste du mobilier se répartit entre trois box vélos sécurisés totalisant 60 arceaux, une fontaine à eau potable et un éclairage LED à détection de présence pour limiter la pollution lumineuse.

Les eaux pluviales sont captées par un substrat filtrant de 90 cm d’épaisseur et stockées dans une cunette drainante de 140 m³, dimensionnée pour absorber un épisode pluvieux d’occurrence décennale. Ce dispositif s’aligne sur les nouveaux standards de la Métropole pour les « places résilientes » (pluie, chaleur, accessibilité).

 

Maîtrise d’ouvrage et démarche participative

La maîtrise d’ouvrage a été confiée à la SERM, bras armé de la collectivité pour les opérations d’aménagement. Le groupement lauréat – le paysagiste Kami & Co associé au bureau d’études hydrauliques Hydrétudes – a été désigné en juillet 2023. Deux réunions publiques (octobre 2023 et janvier 2024) et une balade urbaine « test grandeur nature » ont permis de recueillir 68 contributions citoyennes portant surtout sur les essences à privilégier et sur la continuité cyclable entre l’avenue Jacques-Cartier et la médiathèque Émile-Zola.

Les riverains ont notamment obtenu la création d’une rampe PMR supplémentaire côté Lez et la suppression d’un linéaire de stationnement automobile rue du Pont-Juvénal. À partir d’avril 2024, le chantier a été phasé pour coexister avec les bascules de circulation provoquées par le Bustram; la plate-forme de stockage du parking a même servi de zone tampon pour les engins de terrassement de l’avenue de la Pompignane.

Montpellier Antigone Place Li Jieren – Panneau place Li Jieren
(c) Ville de Montpellier - Youtube

Financement et inscription budgétaire

Côté finances, la transformation s’inscrit dans la programmation pluriannuelle d’investissement 2021-2026 : le débat d’orientation budgétaire (13 février 2025) chiffre l’opération à 450 000 € HT, répartis en :

La Ville souligne que l’enveloppe représente 0,26 % des 170 M € d’équipements inscrits pour 2025, confirmant une stratégie consistant à multiplier de petites opérations plutôt qu’un unique grand parc, afin de mailler chaque quartier d’ilots de fraîcheur. Pour mémoire, le chantier a démarré début juillet 2024, la réception technique a eu lieu le 18 avril 2025 et la place a été livrée sept jours avant l’inauguration officielle du 14 mai 2025.

S’il est trop tôt pour disposer d’un retour d’expérience complet, la direction de la transition écologique estime déjà que les premiers épisodes pluvieux de mai 2025 ont été intégralement infiltrés, sans la moindre lame d’eau en surface . La place Li Jieren devient ainsi la vitrine opérationnelle d’une politique municipale – désimperméabiliser, planter, apaiser – qui se déploie de la Comédie aux Arceaux: une approche graduelle mais soucieuse de produire des effets mesurables dès la première saison estivale.

La cérémonie du 14 mai 2025 : diplomatie de proximité et mémoire partagée

À 11 h 00 précises, la nouvelle place Li Jieren a résonné du son des tambours chinois tandis que le maire Michaël Delafosse, entouré d’élus métropolitains et du consul général de Chine à Marseille, a coupé le ruban tricolore devant une centaine d’habitants et d’étudiants en sinologie – l’un des premiers temps forts des Assises régionales de la comédie du Livre organisées la même semaine.

Le dévoilement de la plaque a été suivi d’une lecture bilingue d’extraits de Avant l’orage, roman‐clé de Li Jieren, par le comédien Régis Penalva, puis d’un court texte du romancier He Jingzhou en mandarin, traduit en direct par une doctorante montpelliéraine.

Sur le plan symbolique, le protocole a volontairement délaissé les fastes habituels (pas de tapis rouge ni de fanfare municipale) pour mettre en avant la végétalisation du site : une urne de terre du Sichuan a été mêlée au paillage des nouveaux chênes-lièges, rappelant l’ancrage à la fois local et sino-français du projet. Les premiers visiteurs, collégiens du programme de jumelage Montpellier–Chengdu, ont été invités à planter des bulbes de narcisses autour de la fontaine.

Montpellier Antigone Place Li Jieren – Michaël Delafosse discours d'inauguration de la place li jieren
(c) Ville de Montpellier - Youtube

Des discours qui tressent écologie urbaine et amitié culturelle

Dans son allocution, Michaël Delafosse a présenté Li Jieren comme « le passeur de nos imaginaires », saluant un auteur capable de rendre Flaubert audible aux lecteurs mandarins . Il a rattaché la dénomination de la place à deux objectifs : renforcer la diplomatie d’influence avec Chengdu et multiplier les “îlots de fraîcheur” dans un quartier historiquement minéral.

Le consul général de Chine, Dong Guangli, a pour sa part évoqué la « continuité de l’histoire » : des débuts en 1920 de l’étudiant Li Jieren dans les amphithéâtres montpelliérains jusqu’au jumelage officiel entre les deux villes en 1981, « premier du genre en France ». Il a annoncé la signature prochaine d’un accord entre la Maison Li Jieren de Chengdu et le réseau des médiathèques montpelliéraines pour des résidences croisées de traducteurs.

Enfin, l’adjointe à la Culture, Fatma Nakib, a souligné que la place Li Jieren serait utilisée dès l’été pour des lectures publiques en plein air et des ateliers de calligraphie.

Une réception citoyenne attentive aux usages quotidiens

Sur les réseaux, la vidéo intégrale de l’inauguration, postée par la Ville, a dépassé les 5 000 vues en 48 h et généré plusieurs dizaines de commentaires, majoritairement positifs : « Une respiration verte bienvenue », écrit un riverain d’Antigone, tandis qu’une étudiante chinoise de Paul-Valéry se dit « fière de voir Li Jieren mis à l’honneur ».

Sur X, le compte officiel de la ville de Chengdu a relayé l’événement, évoquant un nouveau chapitre de l’amitié sino-montpelliéraine . Ces retombées symbolisent la dimension transnationale d’une place qui, dès les premières heures, a accueilli à la fois des familles venues profiter des bancs ombragés et des cyclistes empruntant les nouveaux box vélos.

Du côté des commerçants, la librairie Lez’Pages a annoncé qu’elle installerait un stand permanent d’œuvres traduites de l’auteur, profitant du flux piétonnier accru entre la médiathèque Émile-Zola et la bibliothèque universitaire. Selon les services municipaux, la fréquentation de cet axe piéton devrait augmenter de 15 % une fois la ligne de Bustram 1 mise en service, créant un nouvel espace de convivialité culturel et climatique.

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