
Meublés touristiques : Les squatteurs exploitent une faille juridique
Depuis quelques mois, des propriétaires découvrent que leurs locations saisonnières peuvent se transformer en piège juridique. Réservé légalement sur une plateforme, un logement devient parfois impossible à récupérer à la fin du séjour : l’occupant n’est plus un client, mais pas un “squatteur” au sens de la loi pénale. Dans cette zone grise, la procédure d’expulsion s’allonge, révélant une faille que certains exploitent, sur fond de débats autour des meublés touristiques
Définir le “squat” en droit : ce que cible (et ne cible pas) la loi
En droit français, la notion de "squat" désigne l’occupation d'un logement sans droit ni titre, notamment après avoir pénétré illégalement (effraction, menaces, tromperie). À ce titre, la violation de domicile, définie à l'article 226-4 du Code pénal, est un délit dont la sanction a été renforcée : désormais jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende.
Cette infraction permet au propriétaire de demander une évacuation forcée sans passer par la voie judiciaire classique. En effet, dans ces cas, la loi DALO (droit au logement opposable), via son article 38, autorise le préfet à ordonner une expulsion immédiate, en particulier depuis la simplification opérée par la loi ASAP de 2020.
Pourquoi un meublé touristique occupé après la fin du séjour n’est pas traité comme un squat
Lorsqu’un meublé touristique est occupé après un séjour légal, par exemple une réservation via Airbnb dans laquelle le voyageur s'installe puis refuse de partir à la date prévue, la situation est différente. Juridiquement, ce n’est pas un squat au sens de l’article 226-4 du Code pénal, car l’entrée dans les lieux s’est faite avec l’accord du propriétaire, via un contrat de location. L’occupant arrive légalement, avec ce titre (le contrat), et ne peut donc pas être qualifié de "squatteur" au sens pénal, même s’il refuse de partir.
Cette distinction entre intrusion illicite et maintien après entrée licite est le flou juridique du phénomène : l’absence de voie rapide ne signifie pas impunité, mais elle expose le propriétaire à des délais d’expulsion prolongés.
En effet, cette nuance modifie entièrement la procédure : l’occupation devient “sans droit ni titre” uniquement à partir de la fin du bail, et relève alors du droit civil, non du pénal.
En conséquence, le préfet ne peut pas mobiliser l’article 38 de la loi DALO (celui qui permet l’évacuation administrative immédiate en cas d’intrusion illicite) car ce texte ne s’applique que lorsqu’il y a violation de domicile dès le départ. Le propriétaire doit donc saisir le tribunal judiciaire en référé-expulsion. Un détour qui rallonge considérablement les délais puisque, là où l’article 38 permet une intervention policière en quelques jours, la voie civile peut prendre plusieurs semaines, voire des mois selon la charge du tribunal.
C'est la raison pour laquelle ce mécanisme est présenté comme une faille légale. Dans la réalité, il s’agit d’une zone grise du droit : le législateur a renforcé la lutte contre les intrusions illégales (loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023), mais n’a pas créé de procédure expresse pour les locations saisonnières devenues occupation illégale après une entrée licite.
Résultat : certains occupants jouent la montre, profitant de cette absence de procédure accélérée pour prolonger leur séjour sans payer, contraignant le propriétaire à engager une action en justice classique.

L'actualisation du cadre légal (2023-2025)
Au fil des lois et directives de ces dernières années, le droit s'emploie à mieux encadrer le logement, mais sans aborder directement la zone d’ombre des meublés touristiques occupés après un séjour légal.
Loi “anti-squat”
La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, aussi appelée "loi anti-squat", renforce la répression des intrusions illégales. Elle élargit la procédure d’évacuation rapide de l’article 38 de la loi DALO, désormais applicable à tous les locaux d’habitation, meublés ou non, occupés sans droit ni titre . Elle durcit les sanctions (trois ans de prison, amendes) et facilite l’intervention du préfet sous 48 heures maximum.
Circulaire du 2 mai 2024
Cette circulaire (NOR : TREL2327219C) précise le déploiement pratique de la procédure administrative d’évacuation. Elle exige une plainte, la preuve du droit de propriété ou de domicile, constatée par un OPJ, maire ou commissaire de justice. Une fois la demande déposée, le préfet dispose de 48 heures pour décider, puis impose un délai de départ (24 h pour le domicile, jusqu’à 7 j pour autre local), sauf si le juge est saisi. La circulaire confirme que cette voie ne s’applique pas aux occupants entrés légalement, même s’ils s’y maintiennent.
Loi pour la régulation des meublés de tourisme
La loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, surnommée “Le Meur” ou “loi Airbnb”, ne traite pas de l’expulsion. Son objectif est d'améliorer le contrôle des meublés touristiques :
- Obligation de déclaration et enregistrement via un téléservice national, à partir de mai 2026.
- Nouvelle fiscalité plus stricte, avec abattements réduits depuis le 1er janvier 2025
- Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) obligatoire selon de nouveaux critères, à partir de fin 2024 et jusqu’en 2034 .
- Facilitation des outils de contrôle locaux : le maire peut interdire les meublés via copropriété ou réglementation locale, sans unanimité.
La procédure de la voie civile pas à pas
Lorsqu’un meublé touristique est occupé au-delà de la date prévue sans droit ni titre, et que l’entrée initiale était légale, l’expulsion relève exclusivement du juge civil. La procédure est codifiée et comporte plusieurs étapes, chacune pouvant rallonger les délais.
1. Constat de la situation
Le propriétaire doit d’abord établir la preuve que le contrat est arrivé à son terme. Un constat d’huissier (ou commissaire de justice) est recommandé pour documenter la date prévue de départ et l’occupation persistante. Un dépôt de plainte n’est pas obligatoire mais peut appuyer la demande, notamment en cas de dégradation.
2. Saisine en référé-expulsion
La demande est portée devant le tribunal judiciaire du lieu du bien, selon la procédure en référé. Le juge statue sur l’urgence et peut ordonner l’expulsion si le contrat et l’absence de droit sont clairement établis.
3. Signification et délai laissé à l’occupant
Une fois l’ordonnance d’expulsion rendue, elle est signifiée par un commissaire de justice. L’occupant dispose en principe d’un délai d’un mois pour quitter les lieux, sauf si le juge a décidé d’un départ immédiat en raison de circonstances particulières (Code des procédures civiles d’exécution, art. L412-1 à L412-6).
4. Concours de la force publique
Si l’occupant ne part pas à l’issue du délai, le commissaire de justice peut demander le concours de la force publique au préfet. Cette étape ajoute un délai supplémentaire, pouvant varier de quelques jours à plusieurs mois selon les départements.
Durée totale
En pratique, entre le constat initial et la libération effective du logement, la procédure peut durer de 4 à 8 semaines dans les cas simples, mais atteindre plusieurs mois si la juridiction est engorgée ou si un délai est accordé à l’occupant (ANIL). La trêve hivernale (1er novembre–31 mars) ne s’applique en principe qu’aux résidences principales, mais elle peut être invoquée si l’occupant parvient à démontrer que le meublé est devenu son domicile principal.