
Statut du bailleur privé : la relance de l’investissement locatif en approche ?
Le marché locatif français tangue. Les investisseurs particuliers désertent, les ventes dans l'immobilier neuf s'effondrent, les loyers grimpent tandis que les locataires peinent à se loger. En toile de fond, une fiscalité jugée dissuasive, un empilement de normes et la fin du dispositif Pinel laissent le champ libre à la paralysie. Pour sortir de cette impasse, le gouvernement esquisse une réponse longtemps abordée comme un bruit de couloir : un nouveau statut du bailleur privé. À la croisée de la réforme fiscale et de l’urgence sociale, cette promesse de refondation suffira-t-elle à réenclencher la mécanique de l'investissement locatif ?
Le statut du bailleur privé comme une boussole pour les propriétaires
Alors que les investisseurs s'évaporent, une mission parlementaire a été confiée début 2025 à deux figures familières du logement : Marc-Philippe Daubresse, sénateur Les Républicains du Nord, et Mickaël Cosson, député centriste des Côtes-d’Armor. Leur feuille de route : bâtir un statut du bailleur privé capable de recréer de l’attrait pour l’investissement locatif, sans pour autant creuser davantage le déficit public. Un exercice d’équilibriste, à mi-chemin entre incitation fiscale et prudence budgétaire.
Mission stratégique sur fond de consensus fragile
Il s’agit de proposer une fiscalité plus lisible, plus stable et plus attractive, à rebours du millefeuille actuel, trop souvent jugé décourageant. Dans leur rapport attendu pour mi-juin 2025, les deux parlementaires explorent plusieurs pistes, dont l’une semble aujourd’hui s’imposer comme la plus sérieuse : celle de l’amortissement.
L’idée n’est pas inédite, mais elle revient sur le devant de la scène avec un nouveau souffle. Il s’agirait de permettre aux bailleurs de déduire fiscalement, chaque année, une fraction de la valeur de leur bien immobilier (hors terrain) sur une période de vingt ans. Concrètement, cela reviendrait à appliquer un taux d’amortissement de 4 % par an, jusqu’à 80 % de la valeur du logement, une mécanique familière du monde de l’entreprise appliquée ici à l’investissement locatif, qui présente plusieurs avantages :
- Réduire le revenu foncier imposable,
- améliorer mécaniquement la rentabilité nette,
- lisser le coût d’acquisition dans le temps.
Le procédé d'amortissement, déjà utilisé dans le cadre du statut LMNP, serait transposé au parc de location nue, aujourd’hui nettement moins favorisé fiscalement.
Une incitation ciblée et potentiellement modulable
Selon les confidences de l’entourage de la ministre Valérie Létard, une majoration du taux d’amortissement pourrait être envisagée pour les logements proposés à des loyers inférieurs au marché. Cette « bonification sociale » offrirait un compromis subtil entre objectif économique et intérêt général : maintenir un niveau de rentabilité acceptable et favoriser en même temps l’accès au logement pour les ménages modestes.
Par ailleurs, l’amortissement s’appliquerait non seulement à l’achat de logements neufs ou anciens, mais aussi aux travaux engagés pour améliorer un bien existant. Une mesure incitative de plus, qui pourrait doper les rénovations sans recourir aux aides directes comme MaPrimeRénov’, actuellement mise en pause jusqu’à septembre.

Un modèle hybride entre vieilles recettes et nouveaux ingrédients
Il est important de garder à l'esprit, outre l'attractivité pour les nouveaux investisseurs, la préservation d'un écosystème où cohabitent des régimes très différents (meublé, non meublé, location saisonnière, bail classique ou longue durée...). La réforme entend créer un socle commun sans désarçonner les dispositifs en place.
Garantir une transition en douceur
Contrairement à certaines propositions antérieures, l’instauration du nouveau statut ne remettrait pas en cause le statut LMNP, très apprécié pour sa fiscalité avantageuse. Le régime micro-BIC, qui permet aux bailleurs meublés de bénéficier d’un abattement forfaitaire de 50 %, serait ainsi préservé. Une manière de ne pas déstabiliser ceux qui, ces dernières années, ont basculé vers la location meublée pour fuir la fiscalité pesante de la location nue.
Le mécanisme du déficit foncier est également maintenu. Ce dispositif permet aux propriétaires bailleurs de déduire certaines charges (travaux, intérêts d’emprunt, assurances) de leur revenu global si celles-ci le dépassent, dans la limite d’un plafond annuel. Depuis fin 2022, ce plafond a été temporairement doublé à 21 400 euros pour les logements rénovés énergétiquement. Une option coûteuse pour les finances publiques mais jugée pertinente pour encourager la réhabilitation du parc vieillissant.
Une concurrence entre projets de réforme
En parallèle de la mission parlementaire Daubresse-Cosson, d’autres acteurs politiques cherchent à imposer leur propre vision du futur statut. C’est notamment le cas du député Charles de Courson (Liot), qui a déposé en avril 2025 une proposition de loi concurrente. Celle-ci repose sur deux piliers : l’application d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les loyers, calqué sur la fiscalité des revenus du capital, et une exonération d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour les biens loués à titre de résidence principale pendant au moins neuf mois. Encadrement des loyers et durée minimale de location sont les conditions suggérées dans cette PPL.
L’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI), quant à elle, milite pour un statut fiscal universel des revenus fonciers, à l’image du traitement des dividendes. Elle soutient l’idée d’un système clair et prévisible, misant sur la stabilité comme moteur de l’investissement.
Entre amortissement progressif, flat tax simplifiée ou abattement conditionné, plusieurs chemins sont sur la table, mais tous convergent vers un même objectif : redonner confiance aux investisseurs.
Entre volonté politique et réalités budgétaires : quelle faisabilité ?
Si le cap semble fixé, le chemin, lui, reste semé d’embûches. À l’enthousiasme prudent des parlementaires et des professionnels de l’immobilier répond la retenue calculée des services de Bercy.
En effet, derrière la promesse d’un statut du bailleur privé se cache en réalité un bras de fer budgétaire, où chaque mesure doit justifier sa pertinence en période de finances publiques fragilisées. La volonté politique existe, mais sa concrétisation dépendra de l’équation budgétaire que l’État sera prêt à résoudre.
Le PLF 2026 dans le viseur
La ministre du Logement, Valérie Létard, ne cache pas son objectif : inscrire ce nouveau statut dans le projet de loi de finances pour 2026. Elle l’a affirmé mardi dernier dans les colonnes du Point , espérant une adoption dès l’automne prochain pour une entrée en vigueur progressive. Ce tempo suppose que le rapport Daubresse-Cosson, attendu pour la mi-juin, soit bien accueilli au sein de la majorité et qu’il parvienne à s’imposer dans les arbitrages budgétaires de l’été.
Mais l’histoire récente des réformes fiscales montre à quel point les annonces politiques peuvent être freinées, voire enterrées, par le pragmatisme de la direction du Budget. La réforme du statut du bailleur privé a beau bénéficier d’un large consensus chez les professionnels, elle reste soumise au feu vert de Bercy, où l’on scrute chaque dépense potentielle à la loupe.
Bercy en gardien du temple budgétaire
Il est important de préciser que, même étalé sur vingt ans, l'amortissement n’est pas neutre pour les finances de l’État. En effet, s’il réduit mécaniquement l’assiette des revenus fonciers imposables, il pourrait représenter, selon les modalités retenues, une perte de recettes fiscales importante à moyen terme.
L’éventuelle modulation du taux d’amortissement en fonction du niveau des loyers complique encore la lisibilité de l’impact budgétaire, notamment si cette bonification devait bénéficier largement à des zones tendues où les loyers « modérés » restent élevés.
Les arbitrages de Bercy, amorcés début juin, s’annoncent âpres, comme le reconnaissaient Daubresse et Cosson eux-mêmes dans Le Point.
Même le soutien affiché de Valérie Létard pourrait ne pas suffire. Dans une économie où chaque euro budgétaire est compté, il faudra démontrer que les gains indirects (retour des investisseurs, relance du neuf, baisse de la tension locative) compenseront les pertes fiscales à court terme.
Réforme structurelle ou un simple effet d’annonce ?
À ce stade, aucune version définitive du futur statut n’a été entérinée. Si la piste de l’amortissement semble tenir la corde, rien ne garantit qu’elle sera retenue dans sa forme actuelle. L’État pourrait aussi opter pour une phase transitoire, avec des expérimentations ou des ciblages géographiques, afin de limiter le coût initial. Autre option : la réduction progressive d’autres niches fiscales pour équilibrer l’impact global sur le budget.
Dans tous les cas, il apparaît peu probable que des mesures concrètes entrent en application avant 2026. La mécanique législative, les délais d’élaboration des textes, les négociations interministérielles — tout cela laisse peu d’espoir d’un effet immédiat. En attendant, le marché locatif continue de s’asphyxier, et les candidats à l’investissement restent dans l’expectative.
À moins d’un sursaut rapide, la réforme pourrait rejoindre les rangs de ces promesses bien intentionnées, mais dévoyées par la lenteur administrative ou l’austérité comptable. Un projet porteur, sans nul doute, mais suspendu au bon vouloir d’une machine d’État peu encline à la prise de risque.