Joliot-Curie : 232 millions d'euros pour métamorphoser trois quartiers de la rive droite

Benauge, Cenon, Floirac : 232 millions d'euros pour achever la mue du secteur Joliot-Curie

Bordeaux - Urbanisme & architecture - Morgane Caillière le 16/12/2025

Entre rénovations thermiques de pointe, prouesses techniques en bois et reconquête des espaces publics, le projet de renouvellement urbain Joliot-Curie redessine 82 hectares à cheval sur Bordeaux, Cenon et Floirac. Pour mener à bien cette métamorphose aux portes d'Euratlantique, l'enveloppe globale a été portée à 232 M€ le 5 décembre dernier, contre 206 M€ initialement prévus.

C’est une couture urbaine de grande ampleur qui se joue ici. Si les grues s'activent depuis plusieurs années, le vote métropolitain de décembre 2025 vient sécuriser la dernière ligne droite d'un chantier qui ne doit s'achever qu'à l'horizon 2028. L'objectif ? Faire en sorte que ces cités historiques ne deviennent pas des îlots de pauvreté coincés entre les voies ferrées et les immeubles de bureaux flambant neufs.

L'Histoire : De l'utopie moderne à l'urgence de la rénovation

Pour comprendre l'ampleur du chantier actuel, il faut remonter aux années 1950. À l'époque, Bordeaux étouffe et la crise du logement est criante. La solution vient de la rive droite, terre d'industrie et de maraîchage, où l'on décide de bâtir la ville moderne.

La Cité de la Benauge, édifiée entre 1947 et 1955 est l'œuvre de Paul Volette et Jacques Carlu. Ils imaginent une « cité-jardin verticale » : des barres sur pilotis pour libérer le sol, une orientation optimisée pour le soleil, et le confort moderne (eau courante, chauffage) alors rare dans le vieux Bordeaux insalubre.

Cependant, au fil des décennies, le rêve s'est érodé. La paupérisation des habitants, couplée au vieillissement prématuré des structures en béton et à une isolation thermique inexistante, a transformé ces quartiers en zones de relégation. Le projet actuel ne cherche pas à effacer cette histoire — la démolition systématique n'est plus le dogme — mais à la réadapter aux standards climatiques du XXIe siècle. La valeur patrimoniale de cet urbanisme de dalle et de parc est désormais reconnue.

L'Enjeu : Éviter le décrochage face à Euratlantique

Pourquoi investir 232 millions d'euros maintenant ? Parce que le contexte géographique a radicalement changé. Il y a vingt ans, la Benauge, la Cité du Midi et Henri-Sellier étaient des culs-de-sac urbains. Aujourd'hui, ils sont aux portes d'Euratlantique, l'une des plus vastes opérations d'aménagement de France, qui pousse depuis la gare Saint-Jean vers la rive droite.

Cette proximité crée une double pression :

Le PRU vise à maintenir cet équilibre fragile. En rénovant le parc social existant (qui représente 90 % des logements actuels) tout en introduisant de nouvelles constructions privées, la Métropole et les villes tentent de diversifier la population sans chasser les habitants historiques. C'est tout l'enjeu des 52 millions d'euros investis dans les équipements publics (écoles, culture) : offrir aux résidents actuels la même qualité de service que dans les quartiers neufs.

Focus Technique : La prouesse industrielle de Floirac

À Floirac, sur la Cité du Midi, la réhabilitation sortie de terre offre un cas d'école technique fascinant. Comment rénover 15 immeubles occupés, datant de 1969, sans faire vivre un enfer aux locataires ?

La réponse architecturale a été l'industrialisation "hors site". Au lieu de tout construire sur place, les équipes ont utilisé 900 modules en bois préfabriqués.

Focus Énergie : La Benauge à l'heure de la géothermie

Côté Bordeaux, la rénovation des Tours 1 et 2, lancée par CDC Habitat en octobre 2024 (pour une durée de 28 mois environ), met l'accent sur la transition énergétique. Avec un investissement lourd avoisinant les 130 000 € par logement (pour la Tour 2), le chantier dépasse le simple coup de peinture.

Le point clé est invisible à l'œil nu : le raccordement au réseau de chaleur géothermique. Cette technologie puise l'eau chaude naturellement présente dans les aquifères profonds (le Jurassique) pour chauffer les immeubles.

Contrairement au gaz, cette énergie est locale, renouvelable et son prix est beaucoup plus stable. Dans un contexte d'inflation énergétique, ce raccordement est un levier direct pour préserver le pouvoir d'achat des ménages modestes du quartier, tout en décarbonant massivement le parc immobilier.

Cadre de vie : L'Estacade ou la reconquête des "non-lieux"

Le renouvellement urbain ne s'arrête pas à la porte de l'immeuble. L'un des symboles les plus forts de cette mutation se trouve à Cenon, avec le projet de l'Estacade, livré à l'été 2025.

Urbanistiquement, c'est une reconquête. Le site était ce qu'on appelle un "non-lieu" : le dessous sombre et bruyant des voies ferrées menant à la gare Saint-Jean. L'équipe de maîtrise d'œuvre (MORE Architecture / Hall04 / Guillaumit) a transformé cette contrainte en atout.

Sur 350 mètres de long, l'espace couvert de 2 700 m² est devenu un lieu de vie hybride :

Ce type d'aménagement change l'image mentale du quartier : on ne vient plus seulement ici parce qu'on y habite, mais pour profiter d'un équipement unique dans la métropole.

Calendrier et perspectives

Le projet Joliot-Curie s'inscrit dans le temps long. Si plusieurs jalons sont désormais derrière nous, le gros des travaux reste d'actualité.

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